Les films mentent. Le moment parfait ne vient jamais tout seul. Les mots les plus élaborés s’oublient très vite et les situations les mieux préparées… ne se déroulent jamais comme prévues. Hugh Grant est un tricheur.
J’ai pensé à cet instant pendant plusieurs semaines. Plusieurs mois, même. Elle l’attendait sans l’attendre, se doutant que ça arriverait rapidement, sans savoir ce que ce « rapidement » voulait dire. J’avais dissimulé tous les éléments : la demande à son père, à un moment où elle n’était pas là ; l’achat de la bague et la demande de mise à bonne taille (plusieurs semaines !), un parc sympathique pour une promenade, un bon restaurant pour le soir-même (j’avais pensé à un ballet, sans trouver quelque chose de bien).
Bref, nous étions le jour J. Celui où j’avais prévu d’être beau, d’être irrésistible (objectif : rendre impossible tout « non » éventuel). La journée commence tranquillement, au creux du lit. Nous mettons du temps à attaquer ce samedi et préférons nous prélasser. Je ne sais plus quoi faire. J’oublie ce que j’avais prévu. Lui demanderais-je ici ? Au parc ? Au restaurant ? Entre le parc et la maison ? Entre la maison et le restaurant ? C’est le bordel dans ma tête, j’ai la plus grosse pression de ma vie.
Je la tanne pour qu’on aille au parc. Il est magnifique, parait-il. Elle finit par accepter mais le temps passant, nous partons sans que j’ai le temps de me raser ou de me coiffer… tu parles d’un Apollon avec ma barbe d’adamantium et mes cheveux en bazar sur la tête… pas vraiment ce que j’avais en tête !
Le parc est magnifique. Bagatelle, une adresse sûre. Un écureil nous surprend entre deux visites aux paons. Les arbres, dont certains arborent des feuilles rouges somptueuses, recouvrent un potager où de rigolos épouvantails nous amusent. Nous traversons une allée aux porches recouverts de fleurs. Elle rigole, mimant la marche nuptiale et je l’attends au bout de l’allée, légèrement de dos. Si elle savait…
Nous traversons la roseraie en lisant le nom des fleurs. Certaines sont magnifiques, d’autres juste splendides. Ma chérie a des étoiles dans les yeux. Je tiens la bague serrée dans ma poche depuis que nous sommes partis de la maison. Il fait un peu froid, cela passe inaperçu.
Ça fait trois fois déjà que j’hésite à lui demander. Au milieu de l’allée aux porches fleuris, au milieu des roses… mais à chaque fois, il y a du monde. Je ne veux pas de gens autour de nous. Juste elle et moi. Un coin tranquille. Je n’en peux plus de tenir cette bague.
Nous continuons à marcher. Entre deux bosquets, un coin isolé. Je la tire par la main. Là, ça commence à être confus dans ma mémoire. J’avais trouvé plein de phrases intelligentes, des mots magnifiques, j’avais même écrit des choses pour être sûr de m’en rappeler. Mais là, mon cerveau est trop serré dans mon cœur, alors je dis juste ce qui me passe par la tête. Je lui demande avec légèreté si elle voudrait être ma femme. Chaque seconde est une éternité. Mon cœur bat à deux cent à l’heure. Elle est incrédule, rigole nerveusement, pense à une blague. Elle dit oui, mais n’y croit pas. Elle n’a rien vu venir, pense que je n’ai pas parlé à son père, que ça n’est pas dans mes projets avant des mois.
Je sais que le grand moment viendra quand elle comprendra. Je suis mort de trouille. Rien que d’y penser, j’en ai encore un creux au ventre. Inconsciemment, je crois que j’ai peur qu’elle se rende compte de son erreur, qu’elle me dise non, qu’elle parte. Je mets un genoux à terre pour lui faire comprendre ma détermination mais à l’intérieur, et je suis le plus faible des hommes.
Je sors la bague de ma poche, renouvelle la question. Ses yeux deviennent brillants de larmes. Elle dit oui. J’enfile la bague à son doigt, elle relève la main pour la regarder, me regarde à nouveau, et fond en larmes en m’embrassant. Elle se laisse tomber dans mes bras et nous tombons à moitié dans l’herbe.
Ma future femme et moi.