Je lis ça et là des articles de blog sur la privatisation de la Poste. Marianne demande même la tenue d’un référendum sur la question (sans proposer de solutions pour le financer, hein, faut pas pousser non plus). Je ne peux pas m’empêcher d’y mettre mon grain de sel, m’étant fait expliquer pas mal de choses il y a quelques mois par ma Libellule, qui rédigeait un mémoire sur cette question (elle a d’ailleurs validé cet article pour que je sois sûr de ne pas écrire de bêtises ou de dénaturer son travail).
Les faits
Le projet de privatisation de la Poste découle d’une requête de la Commission Européenne, qui demande l’ouverture à la concurrence des activités de courrier. La Commission Européenne ne donne aucune recommandation quant à la privatisation des entreprises publiques. Cette privatisation n’était donc pas obligatoire : la Poste pouvait demeurer une EPIC comme elle l’est aujourd’hui.
En décembre 2008, François Ailleret, président de la commission sur le développement de La Poste, remet son rapport à François Fillon. Nicolas Sarkozy fait alors un choix stratégique : il annonce que La Poste deviendra une SA à capital ouvert uniquement aux investisseurs publics tels que la Caisse des Dépôts et Consignations. L’enjeu pour La Poste est d’obtenir 3 milliards d’euros, selon ses dirigeants, d’ici l’ouverture de la concurrence pour la totalité des envois en 2011. Le changement de statut n’étant pas anodin, il est fort probable que des entreprises privées et des fonds d’investissements finissent pas entrer au capital de la Poste après cela.
L’État a signé avec La Poste un contrat de service public s’étalant jusqu’à 2012. Il englobe le service universel postal, le service public de la presse, l’accessibilité bancaire et l’aménagement du territoire : tout citoyen doit pouvoir bénéficier des mêmes services postaux dans toute la France, y compris les zones les moins peuplées. La continuité des envois postaux des particuliers, les tarifs préférentiels pour la presse, la protection bancaire des plus faibles et l’égalité territoriale en termes de prestations de services et de tarifs seront donc respectés jusque-là.
Les craintes
Concernant le financement de La Poste convertie en S.A., deux choses sont à prendre en compte avant de hurler : d’une part, l’État est-il capable de financer l’investissement nécessaire pour rendre la Poste compétitive face à ses concurrents ? De l’autre, la concurrence serait-elle véritablement loyale si l’un des concurrents reste un établissement public ? La Poste et l’État français ne s’exposeraient-ils pas à des sanctions ? Ces questions, qu’on m’accusera de rendre rhétoriques, sont pourtant capitales.
Une autre crainte est celle des suppressions d’emplois et de la disparition du statut de fonctionnaire. Mais si les salariés et fonctionnaires de la Poste se comparent souvent à leurs camarades ouvriers victimes de délocalisation, ils oublient que contrairement à eux, leur activité n’est pas déplaçable. Les concurrents de la Poste auront besoin de salariés, et préfèreront sûrement du personnel qualifié ou expérimenté. Certes, les fonctionnaires ne seront certainement pas renouvelés. 150 000 fonctionnaires de moins en quelques années, ça changera pas mal de choses et surtout les moyens que l’État pourra investir en tant que « client » de la Poste, payant pour la continuité des missions de Service Public l’entreprise désormais privée dès 2012.
Alors on peut toujours crier pour que l’ouverture à la concurrence ne se produise pas mais en attendant, elle a lieu partout ailleurs en Europe, avec ou sans privatisation des établissements publics. La Deutsche Post, qui fut la première à réfléchir à sa privatisation, a commencé en 1996. Aujourd’hui, 90 % du courrier en Allemagne passe toujours par DP mais cela ne représente plus que la moitié de son chiffre d’affaire, l’entreprise s’étant diversifiée (logistique, agro-alimentaire) et internationalisée.
A force de reculer la privatisation de la Poste sans pour autant en renforcer la qualité de service, l’État français prend un retard conséquent qui aura un impact certain : l’incapacité de La Poste à faire face à la concurrence. Et je parle de DP mais j’oublie Ciblex, Geodis, DHL, GLS, TNT, FedEx, UPS… qui prendront rapidement à bras le corps le marché des colis (80 % du marché français en valeur), s’ils n’ont pas déjà commencé (et c’est ça en moins pour le chiffre d’affaire de la Poste).
Qu’on s’oppose à l’ouverture à la concurrence des activités de courrier, je peux comprendre. La nécessité pour l’État de maitriser tous les flux nécessaires au fonctionnement du pays se conçoit (d’ailleurs, n’est-ce pas la base des textes Hadopi et Loppsi ?). Bon c’est vrai qu’entre l’électricité, le gaz, les télécoms, les autoroutes, le chemin de fer et l’eau, on est déjà bien foutus de ce côté-là, mais rien n’empêche de continuer à se battre. Mais accepter l’ouverture à la concurrence des activités de courrier et refuser tout changement à la Poste, c’est reculer pour mieux la faire sauter.