Il y a quelques jours, Mme Schapira et moi-même nous sommes rendus à une conférence organisée par National Geographic à l’ENS Paris. Nous y avons rencontré Spencer Wells, généticien des populations, qui nous a présenté le projet dont il est responsable. C’en est suivi un débat impliquant Franz Manni (CNRS), Pierre Darlu (CNRS), Lluis QUINTANA-MURCI (CNRS, Institut Pasteur) et bien sûr, Spencer Wells. Et je peux vous dire que c’était vraiment passionnant, et que j’ai vraiment envie d’en partager un peu avec vous.
Pour commencer, disons qu’il y a deux façons d’explorer le temps à la recherche de notre Histoire. Nous pouvons soit observer des éléments du passé que nous trouvons (corps, outils, pièces de poterie, écritures…) et tenter de comprendre comment les choses se sont passées, soit partir de ce que nous avons aujourd’hui et remontrer le cours du temps. Le plus simple, quand on pratique cette seconde méthode, est de commencer par ce qu’on sait, puis de continuer avec les écrits que l’on trouve. Certains arrivent à construire avec cette technique des arbres généalogiques impressionnants. Le problème, c’est qu’on ne peut pas aller bien loin. Du moins à l’échelle de l’Humanité.
Spencer Wells dirige depuis 2005 le Genographic Project, dont le but est d’analyser une grande quantité d’échantillons d’ADN en provenance du monde entier. Car les informations dont nous avons besoin pour tracer les contours de notre Histoire sont en réalité en nous, dans notre génome. 99,9 % de notre ADN est exactement identique d’un être humain à l’autre. À chaque génération, nous échangeons une partie de notre histoire avec nos enfants. Histoire que nous héritons de nos parents et que nos enfants donneront à leurs propres enfants. À chaque génération, de grandes mutations ont lieu au sein de notre ADN, offrant à l’Humanité la variété qu’elle possède aujourd’hui.
Tout notre ADN mute-t-il autant ? Non, deux petits villages de bases ACTG varient très peu : l’ADN mitochondrial (donnant des informations sur la mère) et le chromosome Y (donnant des informations sur le père). En déterminant les séquences de certaines portions de ces éléments et en menant d’incroyables calculs statistiques, les équipes du Genographic Project sont parvenues à remonter le cours du temps, dessinant les principaux flux migratoires de l’Humanité à l’envers jusqu’au continent où tout à démarrer : l’Afrique. Et ils ont même donné une estimation de la date à laquelle les premiers hommes ont quitté le continent : entre il y a 60’000 et 200’000 ans, ce qui est extraordinairement peu au regard de ce qu’on estimait jusqu’à présent.
Pour arriver à ce résultat, les généticiens du Genographic Project ont analysé plusieurs centaines de millions d’échantillons. Une partie d’entre eux, environ 310’000 jusqu’à présent, proviennent de kits de prélèvement achetables sur Internet. Les donneurs sont relativement nombreux, mais leur variété génomique est faible. 50’000 échantillons proviennent quant-à-eux de populations plus éloignées de la civilisation, et dont l’ADN est plus proche de nos ancêtres.
Evidemment, des problèmes éthiques se posent, comme à chaque fois dans ce genre de situation. Quel droit ont les scientifiques d’aller expliquer à des populations indigènes qui croient qu’elles ont toujours vécu à un endroit particulier que leurs ancêtres venaient de bien plus loin ?… et si nous les épargnons, eux, de la vérité, quel traitement devons-nous réserver aux créationnistes ? Combien de temps les échantillons peuvent-ils être gardés, et pour quels usages futurs ? Comment réagir face à ceux qui se serviront des infimes différences constatées entre deux prélèvements pour justifier un conflit, une guerre, un génocide ?