Un voyage en avion est toujours une aventure. Même pour un vol court, je n’ai jamais vu un passager n’ayant pas une histoire à raconter. Notre dernier voyage n’a pas échappé à cette règle et je suis sûr que je ne suis pas le seul à trouver certaines situations particulièrement absurdes. Petit (façon de parler) récit de notre début de vol…
Un truc que je ne comprendrais jamais, c’est l’inaptitude des gens à respecter des ordres simples. Prenez par exemple un hall d’aéroport dans lequel deux hôtesses s’occupent d’un guichet d’accès à l’appareil et annoncez l’embarquement. Peu importe les informations que vous donnerez après (comme par exemple les numéros de rangée concernés), tous les passagers essaieront inlassablement de rentrer en premier dans l’avion. Pourquoi ? On n’a jamais entendu parler de quelqu’un qui aurait enregistré, serait entré dans le hall d’embarquement et y serait resté faute d’avoir pu embarquer, si ?
Forts de ce constat, Mme Schapira et moi écoutons sagement les consignes et regardons toujours le commun des stressés se presser contre les guichets et se faire refouler. Le problème, c’est que d’autres passagers poussent derrière et que toutes ces personnes stagnantes bloquent le passage. Bref, il arrive invariablement un moment ou une des hôtesses annonce d’une voix fatiguée par tant de bêtise : « Ok, vous avez gagné, on vous laisse passer n’importe comment et tant pis si vous vous marchez dessus dans l’avion parce que vous êtes incapables d’un peu de retenue » ou un truc dans le genre. Et là, en général, c’est encore pire qu’avant.
Une fois à l’intérieur, on comprend cependant l’intérêt des passagers à rentrer les premiers. En effet, dans un souci de « protection de l’environnement » (comprendre : pour faire du chiffre), les compagnies aériennes maximisent le nombre de sièges présents par m² de sol disponible. Le hic, c’est que les emplacements pour les bagages de cabine, par contre, n’ont pas augmenté de taille. Il y a bien une règle sur la taille des bagages à main autorisés mais personne ne la respecte, tant il est facile de l’ignorer ou de la contourner (« Non monsieur, je n’ai pas trois bagages à main. Ca, c’est mon bagage à main. Ca, c’est mon sac-à-main besace de 21 kg et ça, c’est un petit Lancel acheté au Duty Free »). Les compartiments sont donc rapidement pleins. Du moins, quand on attend patiemment que son numéro de siège soit appelé pour embarquer… Comme dit le dicton : « Trop bon, trop… »
Après avoir lutté pendant quelques minutes pour trouver de la place à quatre rangées de la nôtre pour nos bagages à main (pourtant au nombre de deux, et de tailles réglementaires), nous nous installons. Le siège est en forme de demi-lune si bien qu’assis, je me retrouve avec le menton dans les genoux. Je tente de coller tout ce qu’on a laissé à ma disposition dans mon dos, pour tenir à peu près droit : coussins, couvertures, magasines et notices d’évacuation. Rien n’y fait, je suis toujours aussi mal installé.
Mme Schapira, de son côté, prend ses aises. Elle se colle au fond du siège et constate avec peine que sa tête n’arrive pas tout-à-fait jusqu’à l’appui-tête (vous l’aurez compris, nous ne faisons pas exactement la même taille). Elle me regarde me débattre en attendant que je la plaigne un peu, mais je suis trop occupé à récupérer la couverture urticante qui est en boule dans mon dos. Elle laisse tomber et démarre un rituel commun aux gens qui ont peur en avion et qui me fera toujours rire : elle boucle les deux extrémités de sa ceinture, expire à fond et tire sur la lanière de resserrage de toute la force de ses petits bras. Violette, elle me regarde, toute fière : « Et voilà, je bouge plus ! ».
C’est ce moment précis que choisit Benjamin, 2 ans, pour jouer avec la tablette située au dos de son siège. Si elle était une femme sensée et adulte, elle gérerait ce problème en demandant gentiment au père de tenir son enfant. Mais dans la vraie vie, mon infernale schtroumfette prend son air méchant et je devine qu’elle réfléchit à un moyen sournois de se venger de ce petit monstre qui commence désormais à donner des coups de pieds en demandant pour la 249° fois d’une voix suraigüe : « il est où le chat ? ». Je jette un regard complice à ma Libellule qui se calme un peu et rigole doucement. On a tout les deux une petite idée sur où se trouve l’animal…
Tandis que ma chérie contient ses nerfs, je découvre avec surprise l’écran figé dans le siège devant moi. Je ne comprends pas pourquoi ils ont changé les écrans dans les avions. Avant, on avait un écran partagé pour 10 personnes, avec films imposés. En général, il y en avait deux sur un vol de plus de cinq heures : un pour les enfants et un pour les adultes. Quasiment à chaque fois, l’écran ne marchait pas ou mal. Mais regarder un film avec une image entrelacée de orange, ça avait définitivement de la gueule. On n’était pas encore arrivé à bon port qu’on se sentait déjà l’âme d’un aventurier. Au moins, à l’époque, on savait pourquoi le film était mauvais. Aujourd’hui, chacun a son écran, fixé dans le siège du passager de devant, avec programme interactif donnant accès à deux trillions de films, de jeux et de reportages sur les tournois de golf PGA (sûrement pour faciliter l’assoupissement). Il parait que c’est génial. Évidemment, je n’en sais rien car ces écrans ne sont pas fait pour afficher une image claire quel que soit l’angle de vue. À chaque vol, mon voisin d’en face recule son siège avant même que l’avion ne décolle, et je me retrouve avec l’écran à deux centimètres du visage. J’ai beau le basculer dans tous les sens, je ne vois jamais qu’une soupe de fantômes grisâtres sur fond blanc.
Comme d’habitude, je me plains auprès de Mme Schapira (au cas où elle y pourrait quelque chose). Mais visiblement, c’en est trop pour elle. Elle exulte : « Oh toi, ça va, t’as pas d’enfants derrière toi ! Au moins, quand t’as un problème avec ceux de devant, tu peux te venger ! » Et elle associe le geste à l’image en tapant sur le siège en face d’elle (occupé par quelqu’un qui n’avait rien demandé à personne). Nous nous regardons trois longues secondes, et explosons de rire.
Soudain, les écrans s’allument, affichant une carte qui semble dater de 1987. Ce constat me laisse perplexe. Mi-nostalgique, mi-inquiet, je commence à me demander si les instruments de vols datent de la même époque quand ma douce, qui a compris à quel point ma position sur ce siège est inconfortable, me rassure en me montrant son écran : « Tu vois, il n’y a que 9243 kilomètres ! » et m’envoie son regard le plus espiègle. Quelle chipie…
Au moment où je m’apprête à lui répondre, une voix résonne dans les haut-parleurs et couvre ma phrase. Une hôtesse nous explique à quel point l’équipage est heureux de nous avoir à bord. On nous donne le nom du pilote et du copilote (quelqu’un a-t-il peur qu’on ne sache pas à qui s’en prendre en cas de poursuites judiciaires ? Sinon pourquoi nous donner leurs noms ?) ou pour inquiéter davantage Mme Schapira (le copilote s’appelant « Mr Manchot », véridique). « Nous vous rappelons qu’il s’agit d’un vol non fumeur. Les toilettes sont équipés de détecteurs de fumée très performants ». Je suis rassuré, c’était vraiment une grande inquiétude pour moi.
A la fin de l’annonce, tous les écrans de l’avion basculent sur un même programme : les consignes de sécurité. Des gens de tous les pays, de toutes tailles, de toutes couleurs de peau, essaient avec succès d’avoir l’air plus niais les uns que les autres en enfilant leur gilet de sauvetage jaune. Le problème, avec moi, c’est que j’ai toujours un peu de mal à tenir ma langue et je finis toujours pas lâcher un truc stupide : « Je ne vois pas l’intérêt de ce genre de vidéos. Tu as déjà entendu parler d’un vol long courrier échoué au milieu de l’océan dont les passagers ont été sauvés par des toboggans gonflables ? ». Ma chérie prend alors son air le plus inquiet. Vous savez, celui avec les yeux au bord des larmes et la lèvre inférieure légèrement boudeuse : « Ca veut dire qu’on va tous mourir ? ». J’aurais mieux fait de me taire.
Et le pire, c’est que je n’apprends absolument pas de mes erreurs. Après plusieurs minutes passées à la rassurer et à la prendre dans mes bras (ce qui m’oblige à détacher sa ceinture, impliquant à la fin du câlin une réédition du rituel « Apprends à devenir violette avec ta ceinture »), elle commence à s’agiter à nouveau. « Ca ne sent pas un peu bizarre, là ? ». Et je ne trouve rien de mieux à répondre que : « Hum, le brûlé, on dirait ». Nouvelle crise d’angoisse, nouveau câlin, nouvelle tentative de suicide par asphyxie à l’aide de la ceinture.
Notre avion décolle enfin. Très inconfortablement assis, j’essaie de négocier avec douleur une petite place pour mes pieds. Tandis que ma chérie sort son lecteur MP3 (qu’elle ne quittera pas de tout le vol), je lance le programme multimédia et sélectionne un film, au hasard. Je cherche encore de quoi il s’agissait : je n’ai vu que des ombres.