En lisant la tribune de Nicolas Sarkozy dans Le Monde d’aujourd’hui, j’ai été pris d’un persistant malaise. D’abord parce que le Chef de l’État s’adresse à moi (enfin à nous, mais donc indirectement à ma petite personne) et ensuite parce que ce qu’il m’écrit me choque (et c’est problématique parce qu’en tant que Président de mon pays, il parle un peu en mon nom…).
Pour commencer, Nicolas Sarkozy m’encourage à ne pas juger les Suisses ayant voté majoritairement contre la construction de nouveaux minarets dans leurs pays. Sans pour autant marquer son indignation face à ce vote, le Chef de l’État l’a visiblement jugé suffisement important pour lui consacrer le temps nécessaire à la rédaction d’une tribune. Comme le Président me demande de ne pas aller trop vite en conclusion, j’écoute et continue la lecture. Il qualifie les réactions postérieures au vote d’excessives et de caricaturales, puis les considère comme l’expression d’une « méfiance viscérale pour tout ce qui vient du peuple ». Si je trouve que les Suisses ont fait preuve d’islamophobie en votant la semaine dernière, est-ce donc que je suis un clown exagérant le résultat d’une expression démocratique ? Je ne m’en rendais vraiment pas compte !
Maintenant qu’il est établi que je suis un ennemi du peuple, Nicolas Sarkozy s’appuie sur le vote suisse pour justifier le besoin d’un débat national (en France, cette fois) sur l’identité nationale. Le glissement est subtil et suffisamment flou pour ne pas que l’on puisse précisément y identifier la bascule mais le constat final est sans appel : il y a, pour Nicolas Sarkozy, un paradoxe entre identité nationale et islam induisant une perte des repères français… manifestement chrétiens. Le mot est laché : la France, et plus généralement l’Europe, sont des « civilisation[s] chrétienne[s] » qui justifient qu’on les protège à coup de tirades présidentielles écrites dans Le Monde à destination des « compatriotes musulmans » (les juifs feraient bien de s’inquiéter, leur répit ne saurait durer).
Il y a quelques temps, je m’inquiétais qu’Eric Besson ne s’engage dans un chemin très éloigné de la laïcité. Je vois que l’idée vient de bien plus haut et cela m’inquiète d’autant plus. La liberté de culte est une valeur à laquelle je tiens particulièrement. Non pas que cela me concerne particulièrement, puisque je suis agnostique, mais parce que sa remise en question pose la question du renfermement sur soi, du cloisonnement de la pensée sur un modèle unique. Evidemment, à quelques semaines d’élections importantes, cela n’étonne plus. Les réflexes idéologiques justifiant les pires élans de conservatisme sont davantage qu’un choix idéologique. Il y a évidemment dans cette communication la volonté politique de « ratisser large » à droite aux prochaines élections. Après tout, la gauche ne fait-elle pas pareil en s’abaissant devant celui qui insulta les harkis ?
Décidement, il y a quelques choses qui ne tourne pas rond en France. J’en connais une qui doit cependant être ravie. Quand tous les français à qui on aura monté le bourrichon contre l’islam se rendront compte que les réponses à leurs questions ne sont ni au PS ni à l’UMP, nous auront encore le droit à un très joli score du Front National.
Bravo Nicolas, tu rends bien service à Marine.