Énervé au moment du débat sur l’imposition d’un quota de boursiers dans les Grandes Écoles, j’ai décidé de différer la publication du billet pour éviter de réagir vite et mal. Aujourd’hui, j’ai tout de même envie de dire deux ou trois choses sur cette proposition que je trouve toujours absurde.
J’étais boursier durant mes études, aux échelons 2 ou 3 suivant les années. J’ai passé deux ans en CPGE (MPSI/MP) puis j’ai passé mes concours et intégré une École d’Ingénieurs. Pas de quotas, pas de discrimination sur l’origine ou les moyens financiers : les concours ne faisaient que sélectionner les candidats les plus aptes.
Certains s’offusqueront que l’on distribue alors des bourses, puisque les individus aptes sont équitablement répartis : ce serait confondre potentiel et réalisation. En effet, il y a de très bons élèves partout mais tous ne sont pas égaux devant les études. Certains doivent enchainer les petits boulots pour subvenir aux besoin de leur foyer, d’autres ont du mal à trouver un logement décent leur permettant de se concentrer, certains enfin ne peuvent pas payer les frais d’admission aux Grandes Écoles. La bourses aide déjà ceux-là à se retrouver sur un pied d’égalité avec les autres.
Seulement voilà, ça ne marche pas. Arrivé en École, je me suis quand même rendu compte que nous n’étions pas si nombreux à avoir eu besoin d’une bourse pour arriver là. Nous étions les nantis, les chanceux. L’influence naturelle de l’Éducation reste forte (des parents ayant un haut niveau d’études ayant plus de chances d’élever des enfants mieux éduqués eux-mêmes). De là à dire que les Grandes Écoles n’acceptent pas les boursiers obligeant le gouvernement à imposer des quotas, il y a un monde. Je pense qu’il faut creuser d’autres pistes comme par exemple :
- Offrir davantage de logements pour les boursiers, car il n’est pas facile d’avoir une chambre pour travailler, même en étant boursier. Pour ma part, j’ai fait ma 1ere année de CPGE chez mes parents avant de me rendre compte que cela ne collait pas avec la concentration dont j’avais besoin et le rythme de vie un peu spécial que je menais. En 2° année, j’étais dans un studio qui donnant dans l’arrière-cours d’un restaurant indien avec menu à 8 euros, piquette comprise. Tous les soirs, des groupes d’étudiants fauchés chantaient « Capitaine Flam » jusqu’à 2h du matin en urinant sur mes volets. Pas vraiment l’idéal pour travailler. Pourtant, j’aurais du mal à me plaindre : des camarades dormaient dans des meublés de 8m² et d’autres n’ont pas eu de bourses parce que le CROUS considérait uniquement la distance qui les séparait de l’établissement à vol d’oiseau (qu’il y ait ou non un fleuve et pas de pont entre les deux).
- Prendre en compte des petites dépenses. A aucun moment dans le calcul de ma bourse n’est intervenu une évaluation par mon établissement des coûts nécessaires à la poursuite des études. Pas de bourses plus grande si vous avez besoin de 15 livres au lieu de 3 ou de payer les photocopies de vos polycopiés. Cet argument est à prendre aussi en compte à la FAC où le même problème se pose. D’autres petites sommes comme celles-ci, mises bout-à-bout, amènent les boursiers à souscrire, en plus des bourses, des emprunts bancaires de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Les taux sont très avantageux mais cela peut rebuter quand on n’est pas encore entré dans la vie active…
- Comprendre que la discrimination se fait avant. La sélection en classes préparatoires se faisant sur des relevés de notes du lycée et non pas sur des évaluations nationales, il y a évidemment un problème d’inégalité. Un étudiant qui aurait réussi à être « bien noté » par un professeur peu regardant aura davantage de chances de rentrer en classe prépa’ qu’un étudiant dont les professeurs sont plus stricts même si les appréciations globales du second élève sont meilleures que celles du premier. Le baccalauréat ne servant quasiment plus à l’évaluation du niveau des élèves, il faudrait soit le modifier, soit instaurer de nouvelles épreuves permettant de distinguer les meilleurs élèves et leur permettre d’accéder aux hautes études.
Ces trois propositions sont faciles à formuler, et extrêmement difficiles à mettre en place. D’abord par la complexité des études qu’elles nécessiterait et ensuite, ce qui est logique, par leur coût. Il est plus facile et moins cher d’imposer des quotas de boursiers à l’entrée des écoles, fussent ces boursiers moins qualifiés aux hautes études que des étudiants dont l’environnement est peut-être plus propice mais qui n’en sont pas moins talentueux ou méritants.
Alors peut-on dire que l’État est allé au plus direct (et au moins coûteux) pour résoudre une problématique d’inégalités complexe ? Oui, je le pense. Ce n’est pas un mal en soi, et je comprends parfaitement puisque je suis un de ceux qui finissent par payer les factures avec mes impôts et ma consommation (et oui, la TVA…). Mais qu’on arrête de dire qu’il s’agit de la meilleure solution.