Ainsi commença l’histoire…
« La menace sur nos routes était insupportable : plus de 3000 morts par an, vous imaginez ?
J’ai donc été le premier à soutenir ce projet lors de sa présentation au Sénat, puis, en procédure accélérée, à l’Assemblée Nationale. Il s’agissait d’installer dans chaque véhicule un dispositif de captation des pratiques automobiles. Évidemment, il n’était pas question de mettre en place une surveillance de masse : les données étaient récupérées de manière anonyme sur les serveurs de l’État, dans le seul objectif de réaliser des analyses statistiques et de déterminer, éventuellement, les comportements déviants.
Pour cela, étaient enregistrés les accélérations, le freinage, la position géographique, l’utilisation des phares et des essuie-glaces, l’allumage de la radio ou de l’allume-cigare, l’ouverture des boites à gants, la présence de passagers… Un point d’orgue était mis à n’enregistrer aucune conversation entre personnes, mais uniquement les durées de celles-ci.
Les premiers à en souffrir ont été les constructeurs automobiles français. Déjà étouffés par la mondialisation et perfusés aux subventions publiques, ils se mobilisèrent pour demander davantage de fonds afin de financer l’inclusion du boitier jaune d’à peine quelques centimètres. Ils furent rapidement rejoints par les opérateurs Télécom car la transmission se faisant par le biais du réseau de téléphonie (une carte SIM était présente dans chaque boite jaune), ils craignaient un engorgement des réseaux. Et ils avaient raison : les 38 millions de véhicules en circulation étaient connectés à tout instant, ce qui généra un flux d’informations énorme au regard de l’existant composés principalement de téléphones transmettant des informations au réseau de manière temporaire. Renault, qui ne s’en remis pas, fût racheté complètement par Nissan trois ans plus tard.
Rapidement, les services de Police et de Gendarmerie demandèrent l’accès aux données enregistrées pour des questions de coûts. En ouvrant ces données aux forces de l’ordre, l’usage des radars devint complètement inutile. Les assureurs, également, demandèrent un accès de manière à pouvoir pénaliser les mauvais conducteurs et encourager les bonnes conduites. Devant la pertinence des arguments et malgré les manifestations de la société civile, le Gouvernement accepta.
Les résultats furent immédiatement positifs : le nombre de morts sur les routes baissât de 30 % et le covoiturage explosa, en raison de polices d’assurance moins coûteuses lors de la présence de passagers dans le véhicule. Parallèlement, plusieurs personnes se plaignirent de sanctions à la marge comme ce cas étrange d’un quinquagénaire verbalisé pour avoir téléphoné au volant alors… qu’il n’avait pas de téléphone. En cause : la capture d’une conversation de 6 minutes sans présence de passager. Sauf que l’accusé ne téléphonait pas, il parlait simplement tout seul…
Le nombre de vols de véhicules réduisit également énormément en quelques mois, les policiers étant capables de déterminer la position des véhicules subtilisés. Cela ne dura pas longtemps : en moins d’un semestre, le banditisme s’était équipé de solutions techniques permettant la reprogrammation des boites jaunes. Cela posa d’ailleurs un véritable problème sur le marché de l’occasion qui se vit extrêmement pénalisé par l’obligation légale de procéder à un contrôle du boitier avant chaque vente entre particuliers.
La capture de la géo localisation des véhicules permit néanmoins de résoudre de nombreuses affaires de disparitions. De manière plus anecdotique, elle permit également de conclure plusieurs procès aux Prud’hommes, les salariés ayant du mal à prouver qu’ils utilisaient leur véhicule de fonction de manière professionnelle alors qu’ils avaient manifestement dévié du trajet optimum de plus de 5 kilomètres.
Une nouvelle criminalité apparut cinq ans plus tard, de manière inexplicable, permettant à la fois une recrudescence des vols de véhicules stationnés mais également une augmentation des cambriolage de domiciles. Personne ne comprenait comment s’y prenait les malfaiteurs. Il fallut plus d’une année aux forces de l’ordre pour déterminer qu’une fuite avait lieu, au plus haut niveau, des données enregistrées. Alors qu’il était déjà assez simple pour une personne mal intentionnée de suivre physiquement un véhicule et d’observer son stationnement nocturne pour déterminer le domicile de son propriétaire, l’accès à des données récupérées en masse permit une criminalité à une échelle jamais atteinte auparavant. Bien que la fuite ait été immédiatement colmatée, les données accumulées pendant 5 ans circulèrent dans les réseaux du grand banditisme… tous les propriétaires de véhicule devinrent de potentielles victimes.
C’est à ce moment-là qu’apparurent les premières voitures auto-conduites, proposées par des marques étrangères. Le succès fut immédiat, mais le coût était élevé car la plupart des assureurs n’avaient pas adapté leurs contrats et demandaient à ce que le conducteur ait le pied en permanence sur la pédale d’accélération (de trop nombreux accidents ayant été provoqués par des régulateurs de vitesse). Il fallut légiférer en urgence, le marché de l’Assurance refusant de s’adapter, de peur de perdre une rente importante en raison du très faible taux d’accident de ce type de véhicules et de la difficulté de déterminer des coupables dans des conflits opposants les intelligences artificielles de deux véhicules.
Cela devint rapidement « l’Affaire des Intérêts Economiques » quand les médias déterminèrent que les données capturées par les boites jaunes avaient été transmises aux constructeurs automobiles français pour leur permettre de comprendre et de reproduire ces technologies sans investir autant de R&D que la concurrence. Le Gouvernement accusait un « corbeau » qui avait transféré ces données ; le « corbeau » accusait un Ministre qui l’aurait missionné sous le manteau et les constructeurs français avaient du mal à expliquer les transferts de fond douteux qui arrosaient plus de 50 députés… bref, personne n’y comprenait rien, et l’image des véhicules auto-conduits s’en trouva détériorée.
Au grand détriment de la sécurité routière. »
Ce texte d’anticipation n’a bien sûr aucun rapport avec la réalité.