La publicité en ligne est devenue, faute d’une meilleure solution, la principale source de revenus de nombreux producteurs de contenus.
Sans contexte de régulation, son usage empiète un peu plus chaque jour sur les contours flous de la vie privée, au dépend d’usagers qui manifestent leur sentiment d’agression par l’usage massif de bloqueurs publicitaires1. Un véritable marché du blocage publicitaire émerge, constitué de solutions techniques et d’accords secrets, dans les navigateurs comme sur smartphones2. Face à ce phénomène, certains producteurs n’hésitent plus à bloquer l’accès à leurs contenus aux utilisateurs refusant la publicité, envoyant ainsi un signal extrêmement négatif à leur audience.
Cette guerre, extrêmement coûteuse, est le résultat d’un pari sur des sources de revenus alternatives (basées sur la publicité) plutôt que sur la mise en avant de la réelle plus-value des contenus. De nombreux acteurs se plient ainsi aux attentes du « tout gratuit », multipliant les productions à faible valeur informative en maximisant le gain publicitaire au moyen de véritables appâts à clics sans ligne éditoriale. Des empires se construisent, allant jusqu’à racheter des sites pour y déployer des chevaux de Troie publicitaires, au détriment des lecteurs historiques qui sont rarement dupes.
Ces pratiques quantitatives déprécient les contenus et leur valorisation publicitaire. Des producteurs qui garantissaient avant leur rentabilité à l’aide de quelques publicités, se retrouvent aujourd’hui avec un couteau sous la gorge, et sont contraints d’avoir recours à des manipulations techniques (visant à contrecarrer les bloqueurs) ou éditoriales (introduisant au milieu de leurs contenus intéressants du native advertising et du publi-éditorial) pour continuer à assurer les entrées d’argent.
Pour tout dire, la solution est devenue si inacceptable que même l’industrie de la publicité en ligne, représentée par l’IAB3, le confirme :
We messed up. As technologists, tasked with delivering content and services to users, we lost track of the user experience.
Scott Cunningham dans Getting LEAN with Digital Ad UX
Des alternatives difficiles
La construction d’offres de contenus payantes est ambitieuse et nombreuses sont les initiatives qui ne parviennent pas à la rentabilité car c’est toute l’éducation des internautes, prêts à consommer mais rarement à payer, qui est à refaire.
Cependant, si le message parvient à passer, des solutions existent pour permettre à l’internaute volontaire de financer la production de contenus en passant par une donation (Flattr, Google Contributor). Leur usage à grande échelle n’est cependant pas envisageable tant le nombre de régies différentes à rémunérer est important. Autre piste, envisagée par La Presse Libre : la réunion de plusieurs producteurs en une seule plate-forme (avec financement par donation ou abonnement) puis redistribution du financement, par exemple au prorata des visites. Un tel système est également difficile à mettre en place car il nécessite des métriques communes, un S.I. cohérent et énormément de confiance.
A l’opposée de cette logique d’union, certains montrent des voix alternatives en construisant des offres dont la valeur est plus facilement lisible par l’utilisateur : indépendance éditoriale (Mediapart), expérience de lecture renforcée (application native LaPresse.ca), information condensée et sélectionnée… Tous ont en commun de souligner ce qui a été oublié, à savoir que l’investigation, l’écriture et l’accès à l’information a un coût, sur Internet comme ailleurs, et n’offrent que très rarement (souvent à titre promotionnel) l’accès à leurs productions.
Le soulèvement des audiences
Si les producteurs n’arrivent pas à valoriser leurs contenus faute d’une audience suffisante, pourquoi ceux qui disposent d’une audience mais n’arrivent pas à lui proposer des contenus ne viendraient pas proposer leurs services ? Ainsi émergent de nouvelles solutions permettant aux éditeurs d’intégrer leurs contenus sur une plate-forme valorisée par son audience mais en contrepartie, le producteur devient dépendant d’un nouveau canal. Cette relation créé de nouveaux équilibres :
- le contenu est visuellement dépouillé, ce qui améliore la lisibilité mais réduit l’identité de marque et la fidélisation ;
- l’audience est potentiellement très large mais l’éditeur n’a que très peu d’impact sur son ciblage et sur sa capacité à atteindre ses cibles (on est ici sur la même problématique de place de marché qu’avec Google Adwords) ;
- la monétisation est simplifiée mais en échange, l’éditeur n’a, en général, pas de contrôle sur les contrats publicitaires.
Facebook (Instant Articles) et Apple (News) sont les premiers à se lancer sur ce type d’offres, suivis de près par Twitter (Moments) et Snapshat (Discover) mais rien ne laisse à penser que l’absence de transparence sur les plate-formes concernées permettra aux producteurs de contenu de maîtriser leur cible. Facebook, par exemple, ne met déjà plus en avant les actualités de vos amis. Comment lui faire confiance pour vos articles ?
Google AMP : changeons la boite, gardons le contenu
À contre-courant de ces précédents acteurs, le positionnement est différent. Il faut dire que le moteur de recherche est avant tout spécialisé dans l’indexation, il n’est donc pas anormal de le voir proposer Accelerated Mobile Page (AMP), une sous-spécification de HTML destinée à empaqueter à la fois des contenus dépouillés, mais aussi de la publicité (via Google) et le suivi analytique (idem) qui y seraient liés. Google propose ainsi un nouveau format au marché pour voir si celui-ci le considérera comme le « standard » enfin capable de résoudre l’équation { lisibilité × monétisation × contrôle }.
Évidemment, l’intérêt pour Google est de toujours centraliser davantage l’information en affichant les résultats directement plutôt que de rediriger le lecteur vers le site du producteur. Autre avantage : en ayant une approche rationnelle de la publicité, Google est à même de dialoguer avec les principaux Ad Blocker pour faire avancer le concept des publicités acceptables.
Techniquement, l’approche n’est pas coûteuse. La plupart des CMS sont capables de générer des flux de syndication. Celui-ci ne serait qu’un flux supplémentaire incluant le tracking et les campagnes de publicité. Wordpress est déjà en lien avec Google sur le sujet.
D’un point de vue métier, en revanche, l’approche a de quoi faire peur aux professionnels qui se retrouveraient dépossédés du contrôle qu’ils ont aujourd’hui sur les régies. Pas étonnant, dans ce contexte, qu’ils se réunissent rapidement autour d’une position de mea culpa* et préfèrent trouver des accords à l’amiable, fondés sur des bonnes pratiques.
Des pistes non-explorées, un enseignement pour l’avenir
Alors quel avenir pour la monétisation des contenus ? Bien malin qui saura le déterminer. Ce qui est sûr, c’est que le potentiel de nuisance des bloqueurs met l’industrie dans une impasse, obligeant à une refonte des modèles économiques vers des pratiques plus respectueuses des lecteurs, comme L.E.A.N.4.
De nombreuses alternatives au modèle publicitaire sont en réflexion, considérant par exemple que l’attention du lecteur doit être entièrement dédiée à évaluer la qualité de ce qu’il consulte, mais que pendant ce temps sa machine ne fait rien. Il est donc possible de remplacer le temps d’attention humain par de la puissance machine, utilisée par exemple pour générer au profit du producteur des crypto-monnaies. Mais pour l’instant, difficile de trouver le contexte de sécurité suffisant et les modalités de déploiement à grande échelle.
Reste une morale à ne pas oublier : la publicité est une problématique créée de toute pièce par le refus de considérer que les contenus ont un coût. Nous arrivons aux limites du système, et nous arriverons aussi un jour aux limites des autres systèmes pseudo-gratuits, comme les réseaux sociaux.
Si vous le pouvez, préférez toujours des business model basés sur la plus-value de vos contenus plutôt que sur leur proposition à bas coût, ou sans frais : vous envoyez un mauvais signal et il est dur d’en sortir a posteriori.
Aller plus loin, en savoir plus
Quelques liens proposés par des lecteurs :
- « What will happend next will amaze you » de Maciej Cegłowski, proposé par @akramfares
- « Publicité en ligne : où va l’argent ? » de Jb Piacentino, proposé par @eliesl
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D’après une étude PageFair, ces AdBlockers seraient installés chez 35 % des internautes européens, 41 % des 16-29 ans. UCBrowser et Maxthon, qui revendiquent plus de 600 millions d’utilisateurs en Asie, sont également partenaires de solutions de blocage. ↩
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L’Ad Blocker d’iOS 9, par exemple, repose sur un modèle commercial où les annonceurs devront payer pour voir leurs pubs affichées. ↩
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L’Internet Advertising Bureau, la principale association de professionnels de la publicité en ligne regroupant de nombreux acteurs de l’écosystème publicitaire : agences, régies, partenaires, hébergeurs. Habituellement, l’IAB promeut massivement la publicité en ligne en finançant des études sur son efficacité. Ce constat d’échec est un séisme. ↩
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L.E.A.N., pour « Light, Encrypted, Ad choice supported, Non-invasive ads », que l’on peut traduire par « des publicités légères, sécurisées, respectueuse des choix de l’utilisateur et non-invasives », est une nouvelle bonne pratique mise en avant par l’IAB. ↩