La maitresse de notre fils de presque 5 ans, nous a signalé qu’il « parlait de la mort », et que c’était probablement lié à ce que son père (moi) joue au jeux vidéos. Il va sans dire que pour elle, les deux activités sont répréhensibles.
Madame,
Merci de nous souligner le risque que vous envisagez lorsque vous voyez notre fils « parler de la mort », et d’y associer mon activité vidéoludique.
Oui, nous parlons de la mort avec les enfants. Leur mère travaille en EHPA et avant, en EHPAD. C’est donc même un sujet qui nous touche. Et parce que nous considérons que, sur ce sujet comme sur d’autre, il n’y a pas à avoir de tabous, nous en parlons sans déni, ni secret, et surtout sans honte, y compris de nos propres angoisses. Les enfants savent que leurs proches mourront, que certain
sont déjà morts, que nous mourrons et qu’eux aussi mourrons, un jour, de préférence dans beaucoup, beaucoup de dodos.Nous parlons de la mort quand ils nous le demandent ou quand ils l’évoquent de manière trop légère. Nous en parlons toujours avec calme et tendresse, car nous considérons que la mort est une composante essentielle de la vie. Nous en parlons comme d’un jalon du passage du temps, comme des feuilles qui tombent en automne ou des papillons qui sortent de leurs cocons. Nous parlons aussi des différentes choses qui entourent la mort : l’absence de tout ou la vie après la mort, le souvenir du défunt ou de la défunte chez les personnes survivantes, l’héritage laissé par les bonnes ou mauvaises actions réalisées de son vivant…
La mort fait partie de leur vie, comme le pain grillé, l’odeur de la pluie et les courbatures. Nous n’en parlons pas tous les jours, l’oublions la plupart du temps, mais cela ne sert à rien de faire semblant qu’elle n’existe pas.
Et parfois, dans les jeux vidéo, nous donnons la mort.
Car oui, nous jouons aussi aux jeux vidéo. De Mario Kart à Kirby, de Final Fantasy à Horizon Zero Dawn. Les mécaniques de progression sont souvent les mêmes (éliminer le risque présenté par des ennemis pour progresser) et nous ne les abordons jamais que dans leur utilité : la mort n’est alors discutée que comme une mécanique de jeu et les enfants ne sont pas choqués car ils font très bien la différence entre la réalité et la fiction. Nous verbalisons énormément nos sessions de jeu et les enfants maitrisent très bien les concepts sous-jacents à chaque mécanique. La mort est une mécanique comme une autre.
Ces jeux alimentent leurs imaginaires : quand nous ne jouons pas, ils fabriquent parfois les personnages des jeux en Lego, les dessinent, leur font vivre de nouvelles aventures cohérentes avec leur univers d’origine ou en les important dans un autre. En apprenant de nouveaux mots dans ces fictions, ils se découvrent la licence d’en créer eux-mêmes, qui portent mieux leurs valeurs.
Par exemple, mon fils de 5 ans, qui adore les machines animales de Horizon Zero Dawn, et insiste pour que nous en fassions systématiquement nos alliées, n’a pas aimé le « Porte-Mort », une des machines les plus violentes du jeu. Il a donc conceptualisé le « Porte-Gentillesse », qui serait un robot capable de soigner les gens en lançant des missiles de médicaments et qui serait, évidemment, le copain du Transformer Optimus Prime. Il a aussi fabriqué un « Rigoleur », une machine animale en forme de dinosaure qui rit :
Il adore aussi que l’héroïne du jeu puisse changer de tenue et réalise des variations en Lego, toutes conçues pour pouvoir monter le Rigoleur domestiqué :
Bien sûr, il sait que, comme les super-héros qu’il affectionne aussi, tout cela n’est que fiction. Si vous prenez le temps de l’interroger, il vous dira que les vrais héros de la vraie vie sont les gendarmes, comme son Tonton, et les docteurs qui lui ont réparé le doigt quand il l’a coincé dans la porte car ils ont juré de protéger, de soigner et de sauver des vies. Mais la vraie héroïne de son quotidien reste sa maman, qui s’occupe d’une maison « pour les vieilles ». Pour lui qui comprend ce qu’est la mort : la vraie cruauté, c’est la solitude.
Alors laissez-moi vous rassurer : il va très bien. Je sais que vous interveniez surtout pour nous dire que mon fils avait fait quelque chose de violent, à savoir frapper un camarade qui refusait de vous obéir. Nous l’avons condamné fermement et en parlons longuement avec lui, car toute violence physique nous est inadmissible, et cherchons à lui expliquer comment convaincre ses camarades de suivre les règles par la discussion plutôt que la violence.
Laissons les jeux vidéo en dehors de ça – sauf à interroger leur pratique, auquel cas je serai ravi de répondre à vos questions – et laissons-le poser les questions qu’il souhaite sur la mort : s’il ne les pose pas à 5 ans, quand aura-t-il « le bon âge » ?
Note : cette lettre n’a pas été envoyée. Je l’avais écrite par énervement, je dois l’avouer, au cas où les jeux vidéo et la mort auraient à nouveau été utilisés comme cause probable d’une violence ponctuelle que j’estime relativement commune chez un enfant de 5 ans.
Mon fils n’ayant pas reproduit son comportement décrié (à juste titre), aucun nouveau reproche ne nous a été fait sur cette question. Je sais cependant que les jeux vidéos seront, probablement, à nouveau utilisés comme boucs émissaires durant la scolarité de mes enfants, sans prendre en compte la façon dont nous y jouons (en famille, en discutant des objectifs) ou la fréquence (une séance d’une à deux heures, parfois, le dimanche en fin de journée).
Je me tiens prêt à en discuter.