Depuis quelques jours, dans le sillage des revendications des Gilets Jaunes (GJ), j’ai beaucoup entendu parler du Référendum d’Initiative Populaire (RIC).
Un peu partout en France ont lieu des ateliers constituants qui, médiatiquement, sont très souvent associés à la personne d’Étienne Chouard.
Le traitement des médias d’Étienne Chouard n’est pas tendre. Accusé de complaisance avec les extrêmes, de populisme, il est le sujet de beaucoup d’articles qui le décrivent négativement. Des personnes dont je lis les publications et estime l’avis, comme Fabrice Epelboin (@epelboin) et Guillaume Champeau (@gchampeau), ont appelé récemment à ne pas lui faire de faux procès aussi, quand j’ai été invité par un ami à une conférence-débat « Gilet Jaunes » dont il était le principal invité, je m’y suis rendu pour me faire mon idée.
Préambule
M’intéressant à ce qui fait la démocratie dans mon pays, j’étais tombé, il y a quelques années, sur une vidéo d’Étienne Chouard où il parlait de remplacer l’élection par le tirage au sort. Bien que trouvant certaines idées intéressantes, un certain nombre d’affirmations ne m’avaient pas convaincues.
Il ne s’agit pas non plus de mon premier contact avec le RIC, puisque je lis les interviews du politologue Yves Sintomer (Université Paris-8) sur le sujet depuis plusieurs années (ci-dessous, une vidéo pour l’Obs, également publiée hier).
L’organisation
Après un chant pour célébrer son anniversaire, puis une introduction très perturbante par une femme présentant Étienne Chouard à la fois comme l’émanation d’une force tellurique et astrologique locale mais aussi comme le Némésis sino-astral d’Emmanuel Macron (niveau ésotérisme, on n’est pas passé loin du Christ Cosmique), Étienne Chouard, sourire crispé (et je le comprends) a pris la parole.
De débat, son intervention n’avait que le nom, et sur les quatre personnes sur scène, il est le seul à avoir parlé pendant plus de deux heures, chaleureusement applaudi à chaque « pique » contre « les élites » (j’y reviendrai) ou compliment destiné aux Gilets Jaunes (nombreux – les compliments et les Gilets Jaunes).
Le micro a ensuite circulé une demi-heure parmi les 500 personnes présentes pour des « questions » qui étaient en réalité soit des remerciements gênants, soit des ouvertures sur des sujets d’une importance capitale mais connexes au RIC comme la création monétaire et l’Europe. Aucune critique de fond sur les propos d’Étienne Chouard, donc aucun débat.
Les questions n’ont, de toutes façons, duré qu’une trentaine de minutes, à un moment où un quart des personnes étaient déjà parties (nous avions plus d’une heure de retard sur le planning).
Un show, à la limite du culte de la personnalité
L’intervention était bien rôdée, composée de « parenthèses » permettant d’aborder de très nombreux sujets. Bien qu’Étienne Chouard ait été assis pendant une grande majorité du temps, il y avait une vraie mise en scène et des mimiques répétées. Je me rappelle notamment de ce moment où Étienne Chouard demanda un micro sans fil pour mimer la prière d’un citoyen envers son « Prince » (comprendre, le Président de la République).
La salle applaudissait. J’avais vraiment l’impression d’être en meeting avec le représentant d’un parti politique en plein show.
Cette organisation m’a dérangé, car elle mettait très en avant une personne qui passe son temps à dire qu’elle n’est pas importante, que c’est au peuple de réfléchir, qu’elle ne représente rien. Tel que je le conçois, quand on ne représente rien et qu’on souhaite donner la parole au peuple : on condense sa propre intervention et on pose des questions plutôt que de monopoliser le temps de parole avec ses propres réponses.
J’avais plutôt l’impression de « prendre un cours » que celle d’un débat ou d’un dialogue. La topologie même du lieu obligeait les personnes désirant prendre la parole à s’adresser continuellement à Étienne Chouard comme s’il était juge et partie de la qualité des questions.
Je ne suis pas certain, voire même je pense fortement qu’Étienne Chouard n’y était pour rien, et qu’une autre organisation lui aurait convenu tout autant. Il s’agit certainement d’un point d’amélioration pour les organisateurs de prochains événements : si vous ne souhaitez pas placer une personnalité dans une posture haute, éviter de le faire, physiquement.
Ceci étant dit, intérressons-nous au discours.
Une rhétorique populiste assumée
Dans le référentiel d’Étienne Chouard, nous (le peuple), sommes une entité politique autonome (capable de créer nos propres normes sans aide ou alors uniquement celle d’experts hétérodoxes – mais sans expliquer comment ils sont qualifiés comme tels – consultés sur des points précis).
Toujours dans ce référentiel, le populiste et le populaire se confondent : ils sont les défenseurs du peuple et de sa capacité de décision, en lutte, en résistance contre les élites politiques et médiatiques qui les dominent et les contrôlent (mais qui, elles, ne sont constituent pas « le peuple »).
Toutes les personnes présentes hier soir étaient donc « des personnes formidables », de « vrais citoyens » (par opposition à qui ?), victimes d’un système organisé de manière consciente par les « très riches », manipulés par le biais des médias qu’ils possèdent. Aucun média n’y échappe, Étienne Chouard expliquant même que sa fiche Wikipédia contient un « tissu d’horreurs » qu’ils ne le laisse même pas modifier, et dans lesquelles piochent les journalistes dont l’objectif premier est de salir son nom. La victimisation est totale, et elle se double d’une grave incompréhension des modes de contribution sur Wikipédia.
Pour valoriser l’audience et ses centres d’intérêt, l’automobile était au cœur des assertions :
Les autoroutes devraient être gratuites, on les a payées depuis longtemps.
Une contre-vérité puisque même si les sociétés d’autoroute dégagent de grands bénéfices à nos détriments, leur retirer demain l’exploitation ne nous priverait pas de devoir continuer à entretenir le réseau (pour un coût allant de 5 à 9 M€ du kilomètre, suivant les contraintes du site1)
Mais évidemment, rapidement, c’est Emmanuel Macron, étant à la fois un ancien banquier très riche et un détenteur du pouvoir par l’élection, qui fut rapidement désigné comme une cible privilégiée. Appelé tantôt l’Empereur, le Souverain ou le Prince (bien qu’il n’ait pas été désigné de droit divin, ou soit « au-dessus des lois »), il cristallise l’ensemble de la critique du système anti-démocratique2.
Une rhétorique déjà entendue, donc, de l’extrême droite à l’extrême gauche, mais pour Chouard, hors de question d’envisager de faire du mouvements des Gilets Jaunes un parti politique, puisque « les partis sont uniquement destinés à gagner des élections » (aucune explication ne sera donnée) et « toute élection – sauf l’élection municipale des petites villes – est un processus humiliant visant à donner du pouvoir à un salaud, un voleur, un traitre à la démocratie » (en réalité, c’est l’ensemble de la Démocratie Représentative qu’Étienne Chouard critique, puisqu’il souligne qu’il est impossible pour le peuple d’imposer à ses élus de respecter leurs engagements, j’y reviendrai).
Seul François Ruffin fût explicitement nommé comme un « exemple à suivre », un « politicien exemplaire ». Un soutien aux antipodes des valeurs définies par Étienne Chouard précédemment, dont une personne de l’assistance n’a pas manqué de souligner l’absurdité et le copinage, d’ailleurs.
Le RIC, Silver Bullet de la démocratie
La solution proposée par Étienne Chouard pour résoudre ces problèmes est de réécrire la Constitution pour y introduire un Référendum d’Initiative Citoyenne qui serait potentiellement révocatoire (permettant de destituer un élu), constituant (permettant de changer les règles de l’exercice du pouvoir en France), législatif (permettant d’imposer ou d’annuler une loi) et dont l’application des décisions serait contrôlée.
La légitimité de cette solution tient d’une part au « bon sens », au « sens commun », puisque la démocratie directe ne peut être que la meilleure expression de la démocratie, étant la plus populaire :
Ça, les journaux ne vous le disent pas parce qu’ils ont peur, mais 80 % des français sont pour le RIC. Tout le monde veut pouvoir donner son avis.
D’autre part, elle serait une bonne solution car une solution ancrée dans la démocratie athénienne. Comme si la démocratie athénienne était à la fois un standard défini – ce qui me semble difficile à prouver dans la mesure où elle a elle-même évolué au fil de nombreuses réformes – et un idéal – oubliant que le tirage au sort y était effectué « entre riches » (même si ce n’est pas exactement vrai, s’agissant plutôt de citoyens-soldats), les exploités de l’époque étant leurs esclaves, qui n’avaient pas leur mot à dire.
Cette manipulation historique m’a gêné, mais n’était pas isolée. D’un point de vue plus général, j’ai été surpris de n’entendre aucun historique permettant de comprendre la construction des systèmes actuels : ni pour critiquer la Constitution existante, ni pour aborder la construction d’autres modèles de votation (comme le modèle fédéral Suisse). Le RIC, bien qu’absolument pas défini – l’objectif de la soirée étant à la base d’y réfléchir – est de facto considéré comme un idéal puisqu’issu du peuple.
J’avais un peu l’impression d’écouter quelqu’un me dire que parce que l’homéopathie était un fléau, il fallait jeter l’ensemble de la pharmacopée moderne et revenir au bon temps de l’expérimentation sur des cadavres pour redécouvrir nous-même les fondements de la médecine…
Du sublime
Je tiens à préciser qu’il y avait, au sein de cette soirée, des choses que j’ai trouvé intéressantes.
Tout d’abord, le concept même de l’atelier constituant, même si celui-ci a démarré à une heure finalement trop tardive pour que je puisse rester. L’idée même que les citoyens réfléchissent ensemble aux lois me semble cruciale. Cela permet de débattre, de confronter les idées et de se rompre aux règles de la compréhension et de l’écriture du législatif, qui ne sont pas forcément simples.
Un autre point que j’ai trouvé très positif, même si je l’ai trouvé très paradoxal, est l’appel d’Étienne Chouard à dépassionner ce moment politique. Il a recommandé plusieurs fois aux Gilets Jaunes de transformer leur mouvement pour cesser les violences et les blocages et s’organiser en groupes de réflexion. Dans l’organisation des ateliers constituants, mais également par la suite, après la mise en place d’un éventuel RIC, pour l’imaginer dans un temps long et inciter à davantage de débats (6 mois, 1 an, 2 ans) sur les questions de fond comme le nucléaire, de manière à ce que chacun se fasse un avis éclairé à son rythme et que la décision ne soit pas confisquée par de nouvelles élites de « sachants ».
Une des meilleures interventions de la soirée est venue, à mon sens, d’un anonyme en gilet jaune qui a capturé le micro vers 23h30 (au moment du démarrage des ateliers) :
Ce qu’on fait là, c’est pas un truc qui doit se produire une fois, là, comme ça. Si nous voulons démarrer cette démarche, nous devons être conscient qu’il s’agit d’un investissement collectif important. On devra pas se réunir une fois par an, mais au moins une, deux fois par semaine, et travailler sérieusement. Il n’y a que comme ça que nous pourrons reprendre en main notre vie politique.
J’ai aussi été également très bien traité lorsque j’ai souhaité poser une question. Nous étions en toute fin de créneau, et le responsable des micros est venu vers moi et m’a demandé sincèrement si cette question était cruciale pour moi car le temps était limité. Je pouvais largement vivre sans la poser, donc j’ai aimablement décliné la prise de parole. Je l’ai senti attentif à ma réponse et je suis convaincu que si elle avait été différente, il l’aurait respecté et m’aurait tendu le micro.
Ces anecdotes ne sont en rien une démonstration, mais elles construisent un souvenir politique.
Des critiques de fond
Je raconte ici ce que j’ai vu et entendu hier soir, il s’agit donc, pour beaucoup, d’une critique de la forme (même si je pense que la composante populiste et complotiste est porteuse de choses très dangereuses). Dans le fond, j’ai également des désaccords et des questionnements relatifs à ce que j’ai entendu hier soir.
Du contrôle des conséquences du vote
Étienne Chouard semble convaincu que les décisions prises lors d’un éventuel RIC pourraient être contrôlée de manière à s’assurer de leur application. Mais en parallèle, il affirme qu’il serait impossible de rendre obligatoire l’application du programme d’un élu.
D’une part, cela signifie que nous serions capables de contrôler des choses après l’instauration du RIC que nous ne serions pas capables de contrôler avant. Cela me semble difficile à imaginer.
D’autre part, cela insinue qu’idéalement, il faudrait contrôler et forcer un candidat à appliquer pleinement son programme dès son élection, ce qui ne me semble pas non plus des plus souhaitable. Un mandat dure un temps certain, et il peut arriver de nombreuses choses à la Nation qui peuvent impliquer de modifier la ligne directrice pour laquelle le candidat a été élu. Avec des réflexions comme ça, aucun Président ne devrait être sensible à l’expression de la colère du peuple, par exemple.
Enfin, cette réflexion, dans son contexte, me semble d’autant plus malvenue qu’en dépit des désaccords profonds que j’ai avec la politique libérale d’Emmanuel Macron, que je trouve destructrice, je la trouve absolument cohérente avec l’ensemble des discours menés lors des débats précédant l’élection. Pour moi, Macron déroule son programme. Ça n’est pourtant pas, pour autant, à mon sens, une bonne chose.
De la démocratie représentative
Le deuxième point de fond qui me chagrine est l’idée selon laquelle la démocratie représentative nous vole la démocratie. Je ne pense pas que notre mode d’élection soit bon, et je le dis souvent en mettant en avant le vote par approbation ou par valeurs. Mais nos représentants ne le sont pas à vie, et nous conservons le droit de les retirer du pouvoir en ne votant pas, à nouveau, pour eux.
Il ne s’agit pas, je le concède, d’une destitution. Mais à supposer que le RIC existe sous le mandat actuel et que nous entamions aujourd’hui des procédures pour inscrire une proposition révocatoire envers Emmanuel Macron au registre des votations citoyennes : le temps que la question soit inscrite au programme, que la durée minimale de réflexion ait lieu (Emmanuel Chouard parlait hier soir de 12 à 18 mois), puis que la votation se fasse et, qu’enfin, nous organisions de nouvelles élections, combien de temps s’écoulerait-il ? Combien de mois « gagnerions »-nous par rapport à un mandat dans lequel il ne reste « que » trois ans et demi ?
En tout état de cause, la mise en place d’un RIC ne mettrait donc pas un terme à la démocratie représentative ni ne donnerait de pouvoir révocatoire au peuple sur la Présidence de la République, aujourd’hui figure tutélaire du pouvoir. Il me semble donc plus urgent de mieux élire plutôt que de se concentrer sur comment révoquer.
De la critique injuste mais aussi incomplète des médias
Le troisième point qui me pose un très gros problème est la critique très sélective des médias. Étienne Chouard s’en est pris toute la soirée aux journaux qui sont la propriété de grands milliardaires et qui manipulent l’opinion. D’une part, j’ai une assez haute opinion des journalistes français pour penser que lorsque c’est le cas, l’information fuite malgré tout (où en est Bolloré, d’ailleurs, au niveau de la censure documentaire ?) et d’autre part, quitte à pousser la critique, je pense qu’il serait intéressant de s’interroger sur la notion de média.
Facebook, par exemple, est le principal media d’organisation des Gilets Jaunes ou des Gentils Virus. Possédé par un milliardaire, il ne se passe pas un jour sans qu’une fuite de données ne montre que la plate-forme est manipulée par des personnes avares des données privées de leurs utilisateurs, pour les revendre au plus offrant dans le cadre de campagnes ciblées de manipulation politique. Ici, on ne parle pas de directives données par un dirigeant mais directement d’algorithmes qui sont développés dans ce but. Cependant, hier soir, de Facebook, pas un mot. Ou plutôt si, des invitations à rejoindre de nombreux groupes en ligne, en jouant sur l’émotion.
J’ai appris récemment que Polybe, Cicéron, Rousseau, Machiavel… croyaient tous qu’à la démocratie succéderait obligatoirement l’ochlocratie. Ou quand le pouvoir n’appartient plus au peuple (Demos), mais à la foule (Okhlos) à l’opinion manipulable. Cela me semble être un risque à considérer, quand on vit dans un monde où l’émotion (par adhésion totale ou indignation complète) semble avoir pris le pas sur le dialogue, et où notre construction intime devient le territoire d’enjeux qui nous dépassent.
Du soutien de ceux qui souffriraient le plus
Un dernier point que je voudrais aborder ce soir, même s’il y aurait matière à débattre très longtemps : à aucun moment n’a été démontré la légitimité de l’urgence à imposer le RIC, ni les conditions de son imposition (si ce n’est, dixit Étienne Chouard « par la force, en étant des millions dans les rues »).
Une modification de l’ampleur d’un RIC constituant est une révolution et toute révolution fragilise en premier lieu les plus faibles. Beaucoup d’entre eux étaient là, hier soir, et en étaient conscients, comme exprimé par cet autre anonyme Gilet Jaune.
L’écologie, moi j’veux bien, mais ce n’est pas le sujet quand on n’arrive pas à boucler ses fins de mois !
Pourtant, quand on donne au peuple le pouvoir de prendre des décisions, il est en général plus conservateur. Les fragilisés d’aujourd’hui, ceux qui paient aujourd’hui les décisions d’urbanisme automobile des 60 dernières années, ont de fortes chances d’être les victimes de demain.
« cela signifie que l’absence de compétence des électeurs, quand elle est démontrée, ne favorise pas des propositions irrationnelles ou contre-productives, mais simplement le statu quo » « Démocraties libérales », Raul Magni-Berton. Propos cités par Fabien Escalona dans l’article « Le référendum d’initiative citoyenne, un outil utile mais partiel pour enrichir la démocratie ».
Je suis partagé entre l’idée qu’il est nécessaire de réinventer des utopies politiques, et la conviction que la situation des plus faibles ne sera pas améliorée par des projets qui sont non seulement difficilement réalisables, mais qui, en plus, n’améliorerons pas nécessairement leurs problématiques.
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On trouve beaucoup de ressources en ligne sur le coût de l’entretien des routes, du rapport annuel de l’Union Routière de France à des comparaisons européennes, comme celle du Ministère des transports, en 2006. ↩
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Pour ma part, si j’avais voulu critiquer le Président, j’aurais utilisé le terme de « Monarque », mais cela ne date pas de Macron. Tel que je le conçois, c’est sous Sarkozy que le Premier Ministre a cessé d’être le chef opérationnel du Gouvernement et est devenu le simple exécutant, non pas d’une ligne directrice politique, mais bien des décisions précises du seul Président. Le système politique qu’on appelle désormais « omniprésident » se rapproche donc d’une monarchie constitutionnelle à mandat de durée limitée. ↩