Ça fait plusieurs jours que ça le travaille, alors il a fini par nous en parler.
– En fait, c’est dur pour moi de faire les décisions. Je sais pas, moi, j’ai envie de faire plaisir à tout le monde.
– Mais toi, tu veux quoi ?
– Je veux que tout le monde soit heureux. Je veux être gentil avec tout le monde, mais après tout le monde veut être mon ami, ou mon amoureuse et ils m’appellent tout le temps : « Viens faire le jeu avec moi », « non, viens avec moi » et après moi je sais plus vraiment.
– Tu ne sais plus vraiment… ce que tu veux ?
– Je ne sais plus vraiment qui je suis, dans le coeur.
Nous avons beaucoup parlé, pendant plusieurs jours, à différents moments. J’ai notamment appris qu’il avait plusieurs « amoureuses »… mais qu’en fait, non.
– Mais, euh, tu veux dire… des amies ?
– Non, des amoureuses.
– Mais elles sont… nombreuses ?
– Il y a… { il énumère }… donc 6, ça fait 6. Mais tout le monde a une amoureuse dans la classe. Sauf Nico1 qui en a pas parce qu’il colle ses crottes de nez sur les filles.
– Ah oui, c’est une bonne raison. Mais tout le monde a 6 amoureuses ?
– Non, parfois les filles ont un ou deux amoureux, et les garçons ont une ou deux amoureuses. Mais moi j’en ai 6. Je sais pas pourquoi.
Au bout d’un moment, j’essaie d’orienter un peu mes questions pour en savoir plus :
– Et toi, tu es amoureux aussi ?
– Non, moi j’aime seulement Julie1.
– Et vous faites quoi de spécial, tous les deux ?
– Elle est drôle. Elle me prend la main, parfois, et on joue au Papa et à la Maman avec Théo1 qui fait le bébé. Elle m’appelle « Bout de chou ».
– Et ça te plait, « bout de chou » ?
– Non, j’aime pas trop ça mais si c’est elle ça va. Si c’est elle, j’aime bien.
Plusieurs jours après, j’ai rencontré Julie1. Elle m’a fait le plus grand sourire de la Terre. En rentrant à la maison, il m’a expliqué.
– Tu sais Papa, on sera pas amoureux pour toute la vie, peut-être.
– Peut-être, chéri. C’est pour ça qu’il faut bien en profiter.
– Oui, parce qu’un jour elle voudra peut-être plus que je suis son amoureux.
– C’est possible. Tu lui diras quoi, le jour où elle te dira qu’elle veut plus l’être ?
– Bah, je serais triste, mais je lui dirais d’accord. Si elle a plus envie, c’est elle qui décide. On peut par forcer les gens à être amoureux.
Un soir en le couchant, il décide de me raconter une dernière anecdote.
– On a joué au Papa et à la Maman encore aujourd’hui.
– C’était bien ?
– Non, Nico1 a essayé plein de fois de faire des bisous à Julie sur la bouche. Et Julie elle aime pas ça.
– Et il ne faut jamais forcer quelqu’un, tu as raison. Tu l’as dit à la maitresse ?
– Je l’ai dit à Nico et comme il écoutait pas, je l’ai dit à la maitresse et après il a arrêté. Julie m’a fait un bisou sur la joue. Elle a dit qu’elle veut qu’on aura des enfants quand on sera des grands.
– C’est peut-être un peu tôt, pour ce genre de décisions, non ?
– { il rit } Oui ! { Puis se reprend, déterminé } Mais quand je serai grand, j’aurai des enfants.
Comme tous les soirs, je l’embrasse dans le cou, lui fait plusieurs caresses sur les joues et les cheveux et me lève pour éteindre la lumière en quittant sa chambre.
Papa, quand j’aura des enfants, tu voudras bien être leur papy ?
Je suis surpris et ému. Je n’avais jamais imaginé qu’un jour, un d’eux me poserait cette question dont la réponse semble être évidente… Il rajoute :
T’es un super papa, je veux qu’ils aient un papy super comme toi.
En tentant de contrôler ma voix, j’ai dit « ça marche ! » et éteint la lumière sans me retourner, pour ne pas qu’il voit mes larmes de joie. Il n’aurait pas compris.
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pour des raisons évidentes, j’ai changé les prénoms. ↩