Je viens de signer un « Appel des travailleuses et travailleurs du numérique pour une autre réforme des retraites » que je vous invite à lire.
Ce jeudi 5 décembre, je suis en grève (et c’est cool).
Je sais que mon action individuelle n’aura aucune portée, mais à titre individuel, je ne peux pas travailler en sachant que des personnes avec qui je suis solidaire font grève.
Comment signaler son soutien ?
J’ai créé une bannière très laide que vous avez peut-être vu en arrivant. Le code est récupérable sur Codepen. Thibault propose un script JS simple à intégrer qui affiche un écran noir. C’est plus radical, mais aussi plus élégant. À vous de voir, ou de proposer votre propre solution !
Je ne suis pas allé manifester. Comme Romy, j’ai peur des violences policières.
Et cette peur me fait peur. Et j’en veux à cette majorité de nier ces violences contre toute évidence, et d’ainsi entretenir cette peur.
La députée LREM Laetitia Avia sur les violences policières: "Apportez-moi une violence constatée et je serais la première à la condamner" Il fallait oser… Les victimes apprécieront #ViolencesPolicieres #MediapartLive pic.twitter.com/yqRrZA4Ctb
— Nils Wilcke (@paul_denton) December 4, 2019
Les transformations de notre société, amorcées par ce gouvernement et dans la lignée des actions des précédents, me semblent avoir atteint un point où elles mettent en danger le système de solidarité et de fraternité de notre pays – système qui me permet à moi, salarié se considérant comme privilégié, de participer au maintien en bonne santé, au chômage et à la retraite de celles et ceux qui le sont moins – et j’estime qu’il est important de le faire savoir.
Quand les règles d’un jeu sont truquées, la parole de celui qui perd est souvent moins écoutée que celle de celui qui gagne, et refuse de jouer. Gloria Steinem
J’ai mis quelques jours à écrire un mail pour prévenir mon employeur (je n’avais pas vu le modèle proposé par Joachim). Je n’envisageais pas de ne pas le faire, car je ne cherche pas à l’inquiéter : je n’ai jamais fait grève, ne prends pas l’acte à la légère et ne prévoit pas d’en faire une habitude. Cela n’a rien à voir avec mon poste, cela n’a rien à voir avec mes collègues ou supérieurs, et je suis navré que cela leur provoque du travail supplémentaire, puisqu’il faudra calculer une retenue sur salaire pour ce jour.
En revanche, j’ai du mal à entendre que cela pourrait ne pas être professionnel, que cette grève pourrait être illicite. La retraite, au cœur de cette grève, est aujourd’hui comme demain, intimement liée au travail. Elle fait partie du contrat social : celui qui, individuellement, garantit à chacun le droit d’avoir un moment de vie soulagé de la contrainte de l’emploi ; et qui, collectivement et fraternellement, assure aux plus précaires et dont la vie au travail a été la plus difficile de pouvoir bénéficier d’avantages en contrepartie.
Ces régimes « spéciaux » – puisqu’on en parle beaucoup – ne sortent pas d’un chapeau. Ce sont des accords négociés, au fil de longues années, branche par branche pour compenser des nuisances, elles aussi particulières, liées aux métiers concernés. Je rappelle que la retraite n’est pas le seul élément de ces conventions : chaque convention collective a ses spécificités, et ses avantages par rapport au Code du Travail. Réclamer d’un régime spécial qu’il mute aujourd’hui vers un régime universel revient au même qu’une suppression, dès demain, de l’ensemble des conventions collectives (vous me direz, avec les Lois Travail, Emmanuel Macron a déjà inversé la hiérarchie de certains textes, donc nous n’en sommes plus très loin)…
Est-ce que, pour autant, je suis opposé à toute forme de réforme ? Non. L’impressionnant travail de Jean-Claude Delevoye permet d’imaginer les contours d’un système universel. Il y a vraiment de bonnes choses dans ces pistes, et je ne voudrais pas que son travail soit réduit à ce qu’en fait le Gouvernement. Par exemple, je serais vraiment ravi qu’on trouve une solution de couverture pour les agriculteurs qui font un travail admirable et se retrouvent actuellement sous le seuil de pauvreté, alors que nous avons par ailleurs un taux de pauvreté des retraités parmi les plus faibles au monde. Je serais également ravi que les personnes ayant de multiples parcours professionnels ou que les immigrés voient leurs modalités d’accès à la retraite simplifiées.
Mais son travail soulève aussi de nombreux problèmes, et ce n’est pas parce qu’une réforme serait juste que n’importe quelle réforme est acceptable.
Par exemple, pour obéir à un impératif de fraternité, un système universel devrait selon moi prendre en compte la pénibilité des emplois : si l’espérance de vie en bonne santé de certaines activités professionnelles est de 15 ans inférieure à celle de la population générale, je trouve normal que cette pénibilité soit reconnue, et pas uniquement en autorisant ces personnes à partir « deux ans plus tôt » (d’autant que cela nuit au taux de remplacement, et donc à l’emploi des jeunes).
De la même manière, les nouvelles propositions concernant les familles sont intéressantes mais ne corrigent pas les inégalités existantes tout en les aggravant : dans un monde où la femme est déjà le conjoint le plus fragilisé (sur les 100 femmes tuées entre janvier et septembre 2019, 37 femmes avaient plus de 60 ans, dont 26 plus de 70 ans), ajuster le calcul au revenu du couple empêche les femmes de quitter leurs conjoints violents.
Or d’après Bruno Chrétien de l’Institut de la Protection Sociale, pour une femme gagnant 15 000 € annuels et ayant cotisé 152 trimestres, la perte sera de 750 € par an si elle est mère d’un enfant, de 1 633 € si elle est mère de deux enfants. Dans ce nouveau modèle, les périodes sans cotisations coûteront cher, très cher. Commencer en bas de l’échelle, vivre un plan social ou quitter un emploi qui ne vous correspond pas, déménager pour suivre un conjoint, être victime d’un accident grave… jouerait exagérement sur les conditions de votre fin de vie.
Quand ces inquiétudes sont exprimées – outre le mépris de nous faire comprendre que nous n’avons pas suffisamment creusé ces questions et qu’il faudrait faire preuve, avec nous, de pédagogie – la réponse est souvent présentée comme évidente : tout cela serait mathématique, économique.
"La retraite n'est pas faite pour payer des loisirs à partir d'un certain âge" estime @BasPhilippe. "Elle est faite pour substituer aux revenus du travail un autre revenu, parce que vous ne pouvez plus travailler" #ALPL pic.twitter.com/QClbU4Sqdd
— Public Sénat (@publicsenat) December 4, 2019
Même cet argument ne me semble pas si évident. Des fonds de réserves existent pour financer les retraites. La Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES), financée par la Contribution pour le Remboursement de la Dette Sociale (CRDS) sera excédentaire même après avoir fini de combler le trou de la Sécurité Sociale. Et on ne parle pas de 150 milliards qui dorment dans les caisses de retraite complémentaire (fusion Agirc-Arrco). Bref, de l’argent existe, et s’il n’existait pas, la dette pourrait servir à absorber l’arrivée des baby-boomers dans le système en augmentant le taux consacré aux pensions de retraites en part du PIB.
Mais point question de toute ça dans notre futur système car cela serait peut-être trop solidaire, trop fraternel, trop équitable et pas très égalitaire, sûrement. À la place, nous aurons une formule du chacun
pour soi, ou un euro côtisé ouvrira aux mêmes droits, peu importe sa valeur sociale (or demandez à n’importe quel sociologue, les premiers euros, qui servent à nourrir, loger, éduquer… n’ont pas la même valeur symboliques que les euros qui peuvent être capitalisés).Alors, non.
— Benjamin Bayart (@bayartb) December 3, 2019
Quand chaque euro cotisé rapporte autant à chacun, c'est "Chacun pour sa gueule".
Quand les plus forts aident les plus faibles, c'est de la solidarité.
C'est compliqué le vocabulaire, que voulez-vous. Ces gens n'ont pas de dictionnaire. https://t.co/SEMaQTAG9C
Or la retraite n’est pas, selon moi, une récompense mathématique, économique, pour une vie de travail. Elle est plus que ça : la promesse que la vie est faite d’autre chose que du travail. La différence entre faire de son travail sa vie (ce que j’ai la chance de vivre, en pratiquant ma passion au quotidien) et gagner sa vie.