Quelques réflexions, les plus générales possibles, concernant l’usage de certains termes historiques. Expressions anciennes, jurons, jargons explicites ou faisant des références homophobes, sexistes, racistes, validistes, etc.
Je ne suis pas linguiste ni concerné
, ceci n’est qu’une opinion située.1. Chaque communauté a son vocabulaire. Des termes et des constructions apparaissent ou tombent en désuétude suivant les époques. Le français que nous parlons aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’il y a 200 ans. Si nous avons un jour créé des termes ou des grammaires, nous pouvons en créer de nouveaux et en réhabiliter des anciens sans problème. La langue est vivante.
2. Ce qui nous interroge souvent, c’est l’émergence du caractère problématique d’un ou de termes dans notre quotidien. Après tout, nous n’y faisions pas attention avant ! Pourquoi s’en soucier aujourd’hui ? Cette question créée de la curiosité, ou de l’agacement. Je ne sais pas encore ce qui provoque l’un ou l’autre.
Parfois, ce n’est pas aussi tranché. On peut être agacé
et curieux . On peut être sur la défensive et vouloir en savoir plus. L’émotion est complexe et incite à prendre du recul pour être analysée. Il faut parfois du temps, et de multiples frictions pour que la réflexion démarre. On appelle ça douter, et je pense que c’est une bonne chose quand ça invite à rester silencieux et à attendre, voire à mûrir une réflexion. On vous en voudra rarement de vous taire.3. Changer les termes est une manière de transformer le réel, car les mots ont une force symbolique. Ils peuvent être des vecteurs d’oppressions comme des instruments de libération. Est-ce que changer le vocabulaire est la seule manière de transformer le réel ? Je ne pense pas. Mais rien n’empêche de multiplier les moyens d’actions sans hiérarchiser entre le symbolique et le concret en permanence.
Est-ce qu’on va arrêter de lutter contre la discrimination à l’embauche, les violences faites aux femmes et le tabou autour des maladies mentales parce que le vocabulaire change ? Non, probablement pas. Mais si on ne fait rien, on ne changera rien non plus. Changer le vocabulaire est un signal. C’est symbolique, mais c’est déjà beaucoup pour les populations concernées et ça participe à l’éducation des autres.
4. De la même manière que les statues représentent des marqueurs du passé dans l’espace public, certains termes ou constructions mentales représentent ce passé dans l’espace linguistique. Je comprends qu’on puisse s’y attacher et vouloir les préserver dans les mémoires. Il y a des dictionnaires pour cela, qui peuvent rendre hommage à l’étymologie d’un terme, sa polysémie, le contexte social et politique de son usage. C’est tout le rôle d’un dictionnaire : documenter le vocabulaire en usage (et pas le normaliser, comme certain
voudraient nous faire croire).Est-ce qu’on utilise, pour autant, tous les mots du dictionnaire ? Non. Certains tombent en désuétude, et ce n’est pas bien grave.
5. Ce n’est pas un problème de morale, c’est une question politique. Il s’agit de changer la société pour qu’elle arrête d’affecter la vie de celles et ceux qui souffrent d’une discrimination et de favoriser celles et ceux qui n’en souffrent pas. À titre individuel et en privé, vous avez parfaitement le droit d’utiliser des termes problématiques. Par méconnaissance, inculture, parce que vous en avez l’habitude, parce que leur côté transgressif vous amuse ou parce que sous le coup de l’émotion, c’est un réflexe… J’ai par exemple beaucoup de mal à me passer de « putain », utilisé comme une interjection, quand je marche sur un Lego à 3h du matin, et je ne pense pas être le seul.
Mais ça ne me viendrait pas à l’idée d’utiliser ce mot ou n’importe quel autre de sa famille en public, à destination d’une personne. Je sais quel impact il pourrait avoir sur la personne qui le reçoit et je sais qu’il véhicule des préjugés sur les travailleuses du sexe avec lesquels je suis en désaccord.
6. Le vocabulaire courant ou le jargon n’est pas un problème individuel mais un problème de communauté ou de société, de système. Il n’est pas question de parler de culpabilité, mais de responsabilité. On s’intéressera donc moins aux termes en eux-même qu’à l’exigence de changement et à la manière dont les personnes se placent par rapport à cette exigence.
Dis autrement : dans la mesure où la sémantique ne peut être séparé de la pragmatique, le sens des termes que nous employons, leur réception par les personnes en face de nous et leurs effets dépendent de leur contexte d’énonciation. Si ce contexte change, parce qu’une prise de conscience nait, alors un choix politique doit s’opérer pour savoir si le terme est conservé, ou non.
Je suis tombé depuis sur cet article, et particulièrment ce paragraphe, qui explique la problématique en 2 phrases.
Pourquoi s’attacher si désespérément à l’usage d’un mot dont le caractère offensant est incontestable ? Dès lors que l’on connaît le caractère raciste d’un mot, si l’on sait qu’il blesse et humilie une partie de la population, pour quelle raison rationnelle s’obstiner à l’employer ? Quelle privation ressentent les personnes qui s’accrochent à ce mot au point de déployer une argumentation si prolixe pour en défendre l’usage ? « Pourquoi le changement de titre des « Dix petits nègres » indigne tant la France ? », Rokhaya Diallo
7. Si vous pensez vraiment que le problème disparaitra grâce à une éducation plus ouverte à la tolérance, pensez-vous vraiment que ce futur monde extrêmement empathique et tolérant continuera d’utiliser des termes problématiques ? Si oui, pensez à des termes problématiques du passé (que je n’ai pas envie de reprendre ici), tombés en désuétude. Les utilis(eri)ez-vous aujourd’hui ? Pourquoi ?
8. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une forme inversée de domination des personnes affectées par le problème envers les personnes à qui ont demande faire un effort.
Les personnes à qui on demande de faire l’effort resteront, qu’elles fassent l’effort ou non, les plus privilégiées et/ou les moins discriminées (suivant comment vous souhaitez voir les choses).
9. Comme toute activité militante, la discussion sur l’utilisation et la charge symbolique de certains termes n’est pas exempte de dominations. La voix d’une personne dominante sera plus entendue que celle d’une personne dominée.
Je pense qu’il est très difficile de trouver l’équilibre entre s’allier pour montrer que même les gagnants du « jeu » refusent de jouer et priver une personne concernée de la parole.
Mais à l’inverse, attention à ne pas exiger des personnes concernées qu’elles soient systématiquement à disposition pour faire le travail d’explication. Cette activité militante demande un investissement émotionnel important, d’autant plus quand on prend conscience de son appartenance à un groupe dominé, et de la violence qui émanera de vos prises de paroles.
10. Si vous voulez argumenter que toute demande de changement de termes est une porte ouverte à d’autres demandes, n’hésitez pas à les lister. Les injonctions à changer des termes problématiques existent depuis aussi longtemps que le langage. Si « ouvrir les vannes » du changement est un problème, vous ne devriez pas avoir de mal à le prouver avec des exemples historiques.
J’estime que la légitimité de la demande d’abandon de vocabulaire importe peu si celle-ci n’a aucun coût lié à l’apprentissage ou la communication d’alternatives. Si vous commencez à discuter la légitimité de l’abandon d’un terme problématique pour lequel une multitude d’alternatives existent, c’est tout simplement que vous en défendez l’usage. Voir point 6.
11. Dans la mesure où on ne peut pas changer toute un langue en une fois, les actions les plus symboliques vont viser à faire admettre que le terme est problématique à un organisme d’autorité, afin que cette modification unique ait les répercussions les plus larges possibles. C’est un mécanisme inhérent au travail d’évolution du language.
Néologismes
Certains termes jugés contextuellement problématiques peuvent être éliminé de l’usage par l’apparition de néologismes. Les néologismes, ce n’est pas sale, c’est ta langue qui change.
12. Les oppositions les plus ferventes à la disparition d’un mot ou à l’apparition de néologisme font référence à la beauté intrinsèque de la langue telle quelle est. Sauf que… il n’existe pas de distinction objective entre ce qui est beau et ce qui ne l’est pas. Cette perception diffère suivant les personnes. Son usage n’est qu’un véhicule de construction d’un consensus communautaire : « nous avons du goût parce que nous sommes d’accord sur ce qui est beau, pas comme elles et eux qui pensent qu’autre chose est beau alors que non ».
Si votre seul argument est la beauté, alors vous défendez en statu quo.
Je n’exclus pas d’ajouter d’autres points à l’avenir ou d’en corriger pour les rendre moins ambigus ou qu’ils refletent mieux l’évolution de ma pensée.