Je vois régulièrement des critiques à l’emporte-pièce visant les personnes qui suivent des formations courtes en informatique1, et cela m’énerve. Je suis Ingénieur ESIEE Paris, filière informatique, promotion 2007. Si je mets bout-à-bout l’ensemble du temps passé à coder durant ma formation, j’arrive à quelques mois, tout-au-plus.
La formation d’ingénieur m’a appris énormément de choses et j’ai eu souvent conscience de la force que cette diversité procure sur le marché du travail. Mais jamais je ne me permettrais de prendre de haut les personnes en formation initiale ou, encore plus souvent, en reconversion, qui elles aussi savent plein d’autres choses que le code et ont fait une formation de 3, 6 ou 9 mois.
Bien sûr, ces formations sont incomplètes. Mais n’étais-je pas moi-même sacrément incompétent à mes débuts ? Bien sûr que si. Et puis j’ai gagné du savoir-faire, du savoir être, une capacité à communiquer ancrée dans mon expérience et mes compétences. Et c’est normal.
La qualité de ma formation initiale m’a permis de m’en sortir rapidement, sans trop de douleur, et à un moment de ma vie où je n’avais pas trop de soucis. Ce n’est pas une raison pour me sentir supérieur : c’est plutôt un immense privilège.
J’admire les gens qui savent faire un bilan sur leur carrière, pivoter vers une nouvelle, s’y lancer alors qu’ils ont sur le dos un prêt, des enfants, qu’ils doivent faire attention à leur couple, qu’ils ont des investissements associatifs ou s’occupent de proches plus âgés, le tout avec bien moins de naïveté que moi quand j’ai commencé. Ce sont de vrais héros et héroïnes.
Est-ce qu’on peut s’interroger sur la manière dont la filière forme (en reconversion ou non) ? Oui, complètement. J’ai moi-même formé et je sais comment sont fait les programmes dans beaucoup d’écoles : pour nourrir les biais des parents des étudiants.
Est-ce que les formations courtes font mieux ? Non. Elles aussi vendent un time-to-market qui n’est pas réaliste et des salaires de sortie qui sont souvent de belles promesses. Mais ça ne veut pas dire que les gens ne sortent pas aussi compétents que d’autres juniors.
Est-ce que c’est un problème que des gens soient juniors ? Je ne crois pas. Je pense que beaucoup de gens peuvent venir au code tardivement, ou superficiellement, et que ce n’est pas grave. Ils ne volent le job de personne. Ils décrochent un job avec leurs compétences.
Est-ce que c’est ce dont les entreprises veulent ? Peut-être pas. Et c’est du coup très dur pour ces nouvelles personnes sur le marché. Beaucoup sont paupérisés dans des status qui leur font porter le risque de leur emploi, à des taux journaliers dérisoires.
Est-ce que les entreprises n’ont pas un rôle à jouer dans la situation ? Certainement. Peu sont enclines à l’embauche de ses profils, parce qu’elles ne veulent pas porter la formation de ces salarié
?Elles en viennent à réclamer de la formation sur le temps libre du personnel, alors même qu’elles ont l’obligation légale de maintenir leurs salarié
au niveau pour leurs postes. Mais bon, à ce niveau, c’est une culture de toute l’industrie du développement où la perception de la montée en compétence est à revoir. Nous sommes souvent traités comme des client de nos propres entreprises, responsables de notre formation avec le levier d’aller voir ailleurs si on n’est pas content .Cette dynamique de turn-over fait que les entreprises embauchent des juniors en continu pour leur demande d’exécuter des tâches que des personnes désormais seniors faisaient, mais qu’elles ne font plus puisqu’elles sont parties chercher de la reconnaissance ailleurs.
Et comme ces entreprises sont en besoin de remplacement à profil identique, elles vont naturellement embaucher des gens qui ressemblent à ceux qu’elles avaient avant en laissant peu de place à des personnes en reconversion (ou à des femmes s’il y a déjà peu de femmes en place).
Rien de tout ça n’est de la faute des formations, il faudrait en prendre conscience. Les formations ont leur tort (sérieux, quand je vois des formations web qui ne forment pas aux bases de HTML, je pleure) mais cette problématique d’adéquation des profils formés aux besoins des entreprises est une dynamique systémique de marché.
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Je vous renvoie vers l’excellent article de Medhi sur la formation au développement. ↩