Je ne ferai plus d’enfants. J’ai 37 ans, et je viens de passer au bloc pour une vasectomie. Une page se tourne.
Je sais que c’est quelque chose que beaucoup considèrent comme intime. Des ami
, des collègues, vont lire ces mots. Je le sais, et je le fais consciemment : parler de cela est un geste politique.C’est un sujet encore très peu abordé, notamment entre hommes. Loin de moi l’idée de faire du prosélytisme : c’est un choix infiniment personnel. En revanche, pour pouvoir le faire, il faut être conscient que ce choix existe.
Dans cet article, j’aborderai à la fois mes raisons (le « pourquoi ? ») mais également l’opération et ce qui l’entoure (le « comment »). Si vous avez des questions, n’hésitez pas à me contacter et j’en profiterai pour étoffer l’article.
Hello, cher lecteur
! Si tu es ici, c’est probablement que tu cherches des témoignages sur ce sujet. N’hésite pas à lire également ceux d’autres personnes ayant suivi le mê me parcours ou en train de le suivre :- Luc : "Contraception masculine : la vasectomie"
- Nicolas : "Vasectomie"
- Loïc : "Homo Contraceptionemsis"
- Thomas : "☕️ Journal : Deuxième "premier" rendez-vous chez l’urologue pour une vasectomie"
Pourquoi ?
Pourquoi une contraception masculine ?
Dans notre société, tout ce qui est reproductif est associé aux femmes et la très grande majorité des femmes fait l’expérience d’être considérée comme une mère (qu’elles le veuillent ou non).
L’horloge biologique, l’instinct maternel, sont des inventions destinées à inculquer aux femmes qu’elles doivent porter la charge de la procréation et de l’éducation des enfants. Pire, qu’elles y serait naturellement prédisposées.
Si elles ne souhaitent pas ce destin, ou souhaitent en choisir les modalités, la société leur inculque qu’encore une fois, c’est à elles de faire attention en ayant recours, par exemple, à une contraception.
Pourtant, une femme n’est féconde que durant 4 à 5 jours par mois, seulement, et deviennent pour la plupart infertiles entre 45 et 50 ans. Les hommes fertiles, en revanche, le sont toute leur vie (même si cette fertilité baisse) !
Et pourtant, en tant qu’homme, je n’ai jamais eu à porter le poids de la contraception comme le font les femmes. J’ai porté des préservatifs masculins, jeune, mais ce n’était pas que contraceptif, c’était aussi pour me protéger de maladies sexuellement transmissibles.
À l’inverse, depuis plusieurs années, ma femme supporte cette contraception. Elle porte un stérilet cuivre, un dispositif intra-utérin dont la réussite n’est liée qu’à une réaction inflammatoire de son endomètre.
Je sais que la science est positive, que c’est un des modes de contraception les plus efficaces, mais je reste perturbé par la présence de cet objet en elle dont les effets sont connus et pourtant rarement énoncés : menstruations anormalement abondantes et prolongées, saignements intermédiaires, douleurs abdominales, anémie (trop peu de globules rouges sains dans le sang).
Je n’ai pas toujours su tout ça. Et parfois, je vais être honnête, je n’ai pas voulu savoir. Et puis, à un moment, ça m’est apparu comme une évidence, comme un possible : si je me contraceptais moi-même, elle ne serait plus obligée de vivre ça.
Outre le préservatif masculin, les possibilités pour les hommes sont, à ma connaissance :
- une stérilisation (définitive, très peu d’effets secondaires) ;
- un traitement hormonal hebdomadaire de testostérone (réversible, beaucoup d’effets secondaires) ;
- une contraception thermique (le « slip chauffant », réversible et sans effets secondaires, mais qui nécessite une certaine logistique).
L’injection d’un gel contraceptif (le Vasalgel) dans le canal déférent et la pilule contraceptive masculine sont en cours de test, mais je ne crois pas que ces tests aient lieu en France aujourd’hui. Je ne les ai donc pas envisagés.
Pourquoi une contraception définitive ?
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu des enfants. J’ai eu la chance de rencontrer une femme qui en voulait aussi, avec moi (la chance !), et sans attendre. À 37 ans, père de deux garçons de 8 et 10 ans, j’ai le sentiment d’avoir accompli mon projet de paternité.
Je ne dis pas que ce projet est fini, bien sûr. Je serai père aussi longtemps qu’ils me seront fils. Mais j’ai le sentiment d’être comblé par leur présence et, surtout, de ne plus souhaiter assumer l’ensemble d’un parcours pour un troisième enfant.
Ma femme et moi avons tous les deux des projets et des passions qui nous animent. Certains ont été mis entre parenthèse pendant que les garçons étaient bébés. D’autres non, et nous avons dû assumer l’énorme fatigue nécessaire à les mener à bien, tout en assurant avec les garçons.
Aujourd’hui, même si ce sont encore des enfants, la qualité de la relation que nous avons avec eux nous permet de les imaginer comme des adolescents responsables (on peut rêver, non ?). Et rapidement, ils deviendront des adultes indépendants et autonomes. Nous serons toujours là pour eux, mais nous ne sommes pas eux, et pouvons envisager, nous aussi, de poursuivre notre vie et nos projets.
Bien sûr, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. Peut-être perdrais-je la femme de ma vie, ou peut-être ne voudra-t-elle plus de moi… mais ça ne changera pas que mes enfants sont là, et que je souhaite être toujours présent émotionnellement et financièrement pour eux.
À ce stade de ma vie, la contraception définitive est l’occasion de faire mon deuil d’un enfant supplémentaire pour lequel je n’ai plus l’énergie et la motivation, tout en confirmant mon investissement dans l’éducation et la vie actuelle et future de mes petits princes.
On m’a beaucoup demandé si je n’allais pas changer d’avis. Permettez-moi d’interroger la question. Nous passons notre vie d’adulte à prendre des décisions définitives, ou du moins qui nécessitent des années pour être contournées. Ces dernières années, nous sommes devenus propriétaires. Nous avons adopté des animaux de compagnie. Nous avons fait des choix très structurants sur nos carrières. Des choix dont très peu sont réversibles.
Ces décisions ont été perçues très positivement par la société. Ils sont des marqueurs d’émancipation, d’auto-détermination et de confiance en l’avenir. Pourquoi, quand on parle de ne pas ou ne plus vouloir d’enfants, les réactions sont-elles aussi différentes ?
Sincèrement, on m’a davantage interrogé sur le fait que je ne veuille plus faire d’enfant que sur ma capacité, avant la naissance de mes fils, à bien m’en occuper. Comme s’il était plus important que je sois un potentiel géniteur qu’un bon père. Est-ce qu’il ne serait pas temps qu’on s’interroge collectivement sur ce fait ?
Mais ça ne répond pas à la question : suis-je parfaitement sûr de ne plus jamais vouloir d’enfants ? Aujourd’hui, la réponse est oui, mais demain ?
Je le vois autour de moi : beaucoup d’hommes décident de faire des enfants jusqu’à tard dans leur vie, pour plein de bonnes ou de mauvaises raisons, et sans forcément en assumer les conséquences sociales ou financières1.
Si eux le décident, peut-être que ça me prendra un jour aussi. Or c’est un scénario que je souhaite éviter. Aucun jugement ici sur leur paternité : chacun son chemin, et ce n’est juste pas celui que je veux pour moi-même. Prendre cette décision définitive aujourd’hui me permet d’éviter d’avoir ce choix demain.
Et dans le cas où, dans plusieurs années, j’aurais encore assez de patience en moi pour accueillir dans ma vie (et pour la vie) un nouvel enfant, ce ne sont pas les nombreuses années d’un processus d’adoption qui feront une différence. Je n’aurai pas besoin de faire un enfant pour l’aimer et l’élever.
Comment ?
Si vous vous reconnaissez dans le « pourquoi », alors peut-être que vous vous demandez comment cela se passe, concrètement. C’est parti.
En amont
Fin 2020, j’ai abordé le sujet avec mon médecin généraliste. Ce n’est pas une obligation, mais j’ai la chance d’avoir trouvé un médecin en qui j’ai confiance et que j’estime, je souhaitais donc qu’il me guide.
Il m’a demandé un peu de temps, pour faire le tour des urologues de la région et me conseiller quelqu’un de confiance. Nous nous sommes revus vers Noël, et j’ai pris rendez-vous avec l’urologue qu’il me conseillait, jeune mais expérimenté.
En janvier 2021, je l’ai rencontré et il m’a confirmé ce que je savais sur la vasectomie. En quoi consiste l’opération ; à quel point il est nécessaire de la considérer comme définitive ; qu’il est possible de congeler ses gamètes dans un CECOS2, puis m’a invité à 4 mois (obligatoires) de réflexion.
Je l’ai revu en juin 2021. Je n’avais pas changé d’avis. Par un concours de circonstances, une place était disponible au bloc quelques jours après. Il m’a remis une ordonnance pour un savon antiseptique, avec lequel j’ai dû me doucher intégralement deux fois la veille de l’opération, et à nouveau deux fois le matin-même.
Contexte oblige, j’ai aussi passé un test PCR pour valider que je n’avais pas le covid.
Le jour-même
Il s’agit d’une chirurgie ambulatoire, c’est-à-dire que toute l’hospitalisation tient en une seule journée. Vous entrez le matin pour être opéré le jour même et ressortir le soir.
Je suis arrivé vers huit heures, sans autre bagage que ma carte vitale (quelle chance nous avons de vivre dans un pays qui prend ce genre d’actes en charge). Après avoir été accueilli par le secrétariat, j’ai été invité à me déshabiller et mettre mes vêtements dans un coffre. À la place, j’ai enfilé une tenue de bloc : un pantalon, une casaque, une coiffe pour les cheveux et deux coiffes sur chaque pied.
Une infirmière est venue, et m’a conduit dans une salle où elle m’a demandé de m’allonger pour me raser. Que vous choisissiez l’anesthésie locale ou générale, il faut passer par cette étape où la timidité n’a pas sa place.
Ne vous inquiétez pas, la personne qui fait ça est une professionnelle, et ne s’intéresse pas le moins du monde à votre service trois pièces. Son travail, c’est de préparer un champ opératoire le plus propre possible, et le rasage en fait partie. Une fois terminé, nouveau nettoyage antiseptique.
Ensuite, direction le bloc en brancard. Ce n’est pas la première fois que je me fais opérer, mais c’est ma première anesthésie locale. Je dois avouer que quand je me suis retrouvé couché sur le chariot brancard et que j’ai vu le plafond défiler, je me suis un peu demandé si je n’étais pas en train de faire une grosse bêtise. Ce moment était impressionnant.
Arrivé au bloc, vous restez couché. Le personnel infirmier dresse au-dessus de votre torse un drap qui coupe tout votre champ de vision, puis votre pantalon est baissé, votre casaque remontée, et c’est le début de la préparation du champ opératoire.
Concrètement, cela veut dire que les infirmiers et infirmières de bloc délimitent la zone à opérer avec des éléments adhésifs (et là on dit merci à la dépilation) et des linges stériles, puis appliquent des produits antiseptiques. Je ne saurais pas mieux expliquer car, rappelez-vous, le patient ne voit que le drap et le plafond.
Dans mon bloc, tout cela était fait par 4 femmes très prévenantes et très drôles. Aucun geste n’était fait sans me prévenir et m’expliquer en amont. Entre chaque geste, elles glissaient des anecdotes ou des traits d’humour (jamais en relation avec l’opération). Elles m’ont vraiment détendu.
Le chirurgien est arrivé quelque part pendant la préparation. Nous avons rapidement échangé pour qu’il s’assure à nouveau que je n’avais pas changé d’avis (bon, vu ma position, ça aurait été ballot, quand même), et il s’est synchronisé avec l’équipe sur la tenue de l’opération.
IMPORTANT
Ce que je décris ici est mon opération. Suivant les chirurgien , les pratiques sont différentes, notamment concernant le type d’anesthésie locale (gel, piqûre) et le type de vasectomie (avec ou sans bistouri). Discutez de ces sujets avec votre urologue en amont.
L’opération a commencé par l’anesthésie locale par piqûre. Plusieurs piqûres sont nécessaires, à différents endroits du scrotum. On ne va pas se mentir, ça pique et ça brûle à des endroits où personne n’a envie que ça pique ou ça brûle. Mais sur mon échelle de la douleur, on va dire que c’est un 6/10 très rapide puisqu’après quelques secondes, toute la zone autour de la piqûre est endormie.
Pendant tout le reste de l’opération, on sent le toucher, mais de très loin. Pour vous rendre compte, couchez-vous, posez deux ou trois livres sur votre pubis, et demandez à quelqu’un de tapoter sur les livres. Vous sentez les vibrations, vous savez que la personne applique un poids sur la zone, mais vous n’avez aucune idée de ce qu’elle fait exactement. Aucun ressenti quand le chirurgien travaille à bloquer les canaux déférents. J’ai passé toute l’opération à papoter avec l’infirmière à côté de moi.
Une fois la chirurgie terminée, l’équipe a défait le champ opératoire et m’a rhabillé. J’ai ensuite été raccompagné dans une cabine où, après seulement 10 minutes d’attente, je me suis relevé et rhabillé seul (on m’avait ramené mon coffre). L’occasion de découvrir le pansement appliqué entre la verge et les bourses. À ce stade, la zone était toujours endormie et je dois avouer qu’enfiler un boxer à ce moment-là était une sensation assez curieuse !
Pendant l’heure qui a suivi, on m’a servi une collation, et puis je suis sorti en compagnie de ma femme qui avait accepté de faire le taxi. Temps total passé à l’hôpital : moins d’une demi-journée !
Les heures qui ont suivi, la zone s’est réveillée, et la douleur avec. L’impression d’avoir pris un gros coup de pied dans les parties. Rien qu’une bonne grosse sieste et un comprimé de paracétamol ne fasse pas passer.
Le lendemain matin, je vivais normalement. J’ai rangé la maison, je suis allé faire les courses pour la semaine… une journée classique. Bien sûr, on sent quelque chose, mais c’est uniquement ça, un ressenti. Ça dure moins d’une semaine, et je mentirais si je disais que ça ne fatigue pas un peu, notamment les deux premiers jours (en rentrant du bloc, j’ai fait une sieste de trois heures).
La douleur « coup-de-pied » a disparu en un à deux jours. Ponctuellement, j’ai senti à nouveau une gêne pendant environ un semaine. Et parfois, c’est un point qui tire un peu, mais ça reste très anecdotique. Les activités qui sollicitent particulièrement cette zone sont à éviter pendant les 3 jours qui suivent l’opération, et les activités sexuelles pendant une semaine. J’ai personnellement attendu 10 jours avant de ne plus rien ressentir de différent dans cette zone.
Il n’y a aucun soin particulier, aucun traitement post-opératoire, aucun pansement ou autre dispositif à conserver. On se douche normalement. C’est tellement simple qu’il m’est arrivé de douter sur le fait que ça ait marché.
La suite ?
Mis-à-jour 3 mois après
Pendant trois mois, j’ai continué à me comporter comme avant. Même si l’opération est une réussite, mon organisme devait se débarrasser des spermatozoïdes déjà engagés dans les canaux déférents. Pour m’assurer de la réussite de l’opération, j’ai dû passer un spermogramme.
Le résultat étant à 0, l’opération est un succès. Ma femme va pouvoir se débarrasser de son dispositif intra-utérin et de mon côté, je suis soulagé de ne pas avoir à repasser au bloc. La perspective ne m’enchantait pas, même si j’étais prêt à le refaire si nécessaire. L’ayant déjà vécu, je pense que j’aurai été encore plus en confiance pour le refaire. Et toujours aussi motivé.
Émotionnellement, je pense que j’ai assimilé l’information. Ça n’a pas été immédiat. En sortant de l’opération, je gardais un sanglot étouffé chaque fois que je me rendais compte de ce que j’avais fait. Non pas que je regrettais, au contraire. En fait, ça me ramenait, comme par un effet de miroir, à ma famille. Je revoyais le moment où nous avons décidé de devenir parents, puis mes fils à leur naissance, et ça me rendait très émotif. Je suis toujours aussi heureux d’avoir pu vivre ça, de les avoir vu grandir et de continuer à le faire, mais le quotidien a repris se place. Je suis désormais stérile. Dont acte.
J’ai 37 ans, une femme que j’aime a accepté de faire avec moi deux enfants que j’adore et maintenant, une page se tourne.
Big up à mes confrères dont j’ai découvert qu’ils y étaient passés avant moi ou qu’ils y avaient pensé ou y pensaient et dont les témoignages m’ont aussi aidé à prendre ma décision : Mikael, Thomas, Les Nicos C, D et S, Alexandre, Loïc, Ludo et j’en oublie. Merci pour les conversations « entre couilles » (pour une fois, l’expression est pertinente).
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À lire : « Le Genre du Capital », de Céline Bessière (professeure de sociologie à l’Université Paris Dauphine) et Sibylle Gollac (sociologue et chercheuse au CNRS), aux éditions La Découverte. ↩
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Centres d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humains. En savoir plus sur la congélation de gamètes. ↩