Développeurs et développeuses juniors : vos formations, courtes ou longues, ne vous rendent pas autonomes et prêt à accueillir n’importe quel défi. Et ça tombe bien, ce n’est pas le rôle de la formation initiale que de faire sortir des promotions entières de personnes immédiatement compétentes sur un projet exigeant.
Vous êtes peut-être passionné
de code, mais cela ne suffit à en faire un métier. Si vous vous arrêtez là, c’est un hobby.Pour que ça devienne un métier, il faut que cela s’inscrive dans un cadre :
- un ensemble de compétences techniques ;
- de la formation pour en acquérir de nouvelles ;
- un cadre métier avec un contexte (légal, structurel, conjoncturel, géographique, etc.) ;
- des engagements de cadre / coûts / délai à respecter ou, en tout cas, à définir ;
- une organisation régie par une gouvernance à adopter (définissant qui décide de quoi, en informe qui, comment, qui est responsable en cas d’échec…) ;
- souvent, un jargon mélangeant des composantes locales et plus consensuelles ;
- des pratiques organisationnelles, parfois historiques, ayant un rôle social dans l’organisation ;
- un portefeuille de projets orientés par une vision stratégique et des tactiques adaptées à chaque situation et inscrites dans des plans sur la durée (parfois pluriannuels).
Mais ce n’est pas tout.
À votre arrivée, vous ne serez pas seul
. Vous évoluerez dans des équipes composées de professionnel déjà organisé qui gèrent des conflits et des équilibres de pouvoir au quotidien, avec des intérêts parfois divergents et de la gestion de conflits. Et… c’est normal. Parce que c’est comme ça dans toutes les organisations humaines.L’école ne forme souvent qu’aux compétences techniques (et encore, souvent on en sort débutant), en s’assurant de donner un bagage intellectuel théorique pour le reste, mais sans expérience. Et c’est déjà beaucoup. avancé
Donc les compétences nécessaires pour naviguer avec aisance dans le reste s’acquièrent souvent avec le temps et la variété des expériences rencontrées. Elles s’acquièrent donc… lentement. Même deux ans d’alternance à mi-temps ne changent pas grand chose. Il s’agit souvent de deux ans pendant lesquels le ou la junior a travaillé temps partiel avec un jeu de responsabilité plus limité qu’un
autre salarié . Ou alors l’étudiant a travaillé dans une petite start-up, a eu beaucoup de responsabilité mais aucun regard sur ce qu’il ou elle faisait. C’est la recette parfait pour un burn-out avant même son premier CDI…Moralité : vous allez être perdu
. Et c’est prévisible. Une organisation qui n’est pas prête à cela ne vous mérite pas. Mais vous dire ça, ça ne vous avance pas trop, hein ? Alors voici un vrai conseil : entourez-vous. Trouvez des mentor , dans ou à l’extérieur de l’entreprise, sur des sujets techniques ou non : si vous voulez vous épanouir, vous allez avoir besoin d’une cellule pour vous soutenir et vous faire grandir dans votre vie professionnelle.Employeurs
: si vous souhaitez travailler avec des devs près à l’emploi, qui ont déjà un savoir-faire, du savoir-être et savent le faire savoir, n’embauchez pas de juniors. Et quand vous écrivez sur LinkedIn qu’un ou une junior devrait absolument faire ceci ou cela, pensez aux juniors qui vous lisent, et qui dépriment parce qu’ils ont déjà l’impression que le marché les méprise. Prenez-en quelques-un en mentorat, vous comprendrez la violence de votre propos.Bien. Ceci étant dit, pourquoi les employeurs et employeuses cherchent-ils souvent ce type de profils « prêt
-à-l’emploi », quitte à leur demander des compétences parfois très spécifiques (que même les seniors n’ont pas) ?Parce que notre domaine a un problème structurel avec l’idée de supporter le coût de la formation continue, qui est pourtant énorme (nos besoins techniques évoluant fortement et très régulièrement). Dans le tissu légal (droit à la formation, OPCO), rien n’est adapté, du financement de la formation à l’offre proposée par les canaux d’État. Les catalogues ne contiennent que des formations désuètes et les quelques formations pérennes y sont supprimées.
On se retrouve donc à devoir former en interne, ce qui est long, et cher. Comme le marché est très tendu chez les développeurs et développeuses expérimenté
, ce sont des juniors qui sont finalement recherchés, dans l’espoir que leurs écoles leurs aient donné les quelques compétences techniques très spécifique recherchées par l’entreprise. Comme ces profils n’existent pas, sont finalement embauché des juniors qui possèdent 30 à 50 % du périmètre de l’offre publiée.Juniors : maintenant que vous savez ça, vous savez que si un poste vous plait, vous pouvez postuler. Peu importe que vous ayez toutes les compétences. Passez des entretiens, beaucoup. Soyez prêt
à être rejeté : ça arrivera, et ça ne voudra rien dire sur vous. À la fin, vous aurez engendré de l’expérience, c’est tout ce qui compte.Cela créé énormément de problèmes :
- un sentiment d’imposture chez les salarié qui se traduit pas un manque de confiance dans la structure employeuse (et l’absence d’envie d’y faire carrière) ;
- des inégalités de genre, parce que par construction sociale, les hommes sont plus enclins à postuler à des postes pour lesquels ils n’ont pas toutes les compétences, là où les femmes vont plus facilement se remettre en question et douter d’elles-mêmes ;
- des juniors formé dans des entreprises qui ne voulaient pas d’elleux, qui finissent par partir dès que leur séniorité leur permet, ce qui ne fait que confirmer au marché qu’intégrer et former un junior n’est pas rentable ;
- et qui va remplacer ce ou cette développeuse senior, à votre avis ? La boucle est bouclée.
Les solutions pour s’en sortir : assumer des fiches de postes adaptées. Proposer par exemple des postes alternatifs permettant d’entrer dans le dev et d’y gagner de l’expertise sans en faire à temps plein (exemple avec cette fiche pour un Junior Data Consultant, ce qui n’est pas très éloigné de ce par quoi j’ai commencé chez Microsoft).
Mais également, imaginer et proposer des Graduate Programs, qui sont des formations proposées par les entreprises (et financées en dehors de budgets de financement classiques) qui permettent aux recrues d’arriver au niveau de compétence désiré par l’entreprise.
Oui, pour une entreprise, ça coûte cher. Mais combien ça coûte, aujourd’hui, de recruter une personne dont le niveau de productivité n’est pas celui attendu et de devoir, à l’arrache, produire les éléments nécessaire à le ou la voir grandir tout en regardant cette personne partir à la fin ?
Il n’y a pas de secret, dans le recrutement comme ailleurs : si vous voulez un retour sur investissement, commencez par investir.