Il y a quelques heures, Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée Nationale à la suite du résultat français aux élections européennes1. Une part de moi ne comprends pas cette décision et l’autre a peur de trop bien comprendre…
Pas de pouvoir au niveau européen
Déjà, posons la réalité des impacts : le groupe d’extrême droite au Parlement européen est ridicule.
Même avec 30 siège de plus, le groupe identitaire reste très petit (à peine 8 % des sièges), très loin derrière les 180+ députés populistes (European Populist Party, aka la droite pour nous puisque c’est là que siège encore les Républicains) et les 130 parlementaires socialistes et démocrates (S&D).
L’activité des élus RN est négligeable, avec une très faible force de proposition. Jordan Bardella a signé 21 amendements entre 2019 et 2024 contre plusieurs centaines, voire milliers, pour Manon Aubry ou François-Xavier Bellamy. Il n’est rapporteur d’aucun texte contre trois pour la parlementaire écologiste Marie Toussaint.
Ce n’est pas que la faute du RN : les autres groupes appliquent une forme de cordon sanitaire et bloquent les marges de manœuvre du groupe identitaire (et à mon sens, c’est une bonne chose). L’élu RN fait donc acte de présence pour éviter un nouveau procès pour emploi fictif, Marine Le Pen venant de rembourser 300k€ au Parlement…
La montée de l’extrême-droite au niveau européen est un sujet de débat mais c’est une montée lente, par un raz-de-marée.
Mais alors pourquoi Macron agit-il comme il le fait ? Quelle est l’urgence ?
Renforcer le bipartisme
Créer un rempart républicain pour lutter contre l’extrême droite, ce n’est pas pareil que créer une situation d’opposition à l’extrême droite pour créer un front républicain autour de lui.
Déjà, quand on veut créer un rempart contre un adversaire politique, on n’emprunte pas la moitié de ses propositions. On ne propose pas des textes de lois en misant sur une majorité qui n’existe que si on inclut le RN.
Mais sur une échéance comme une dissolution, si on veut permettre la construction d’un rempart, on lui donne les moyens d’exister, y compris en lui laissant le temps de se construire.
En choisissant un délai aussi court pour la dissolution (le vote aura lieu dans 20 jours, soit le minimum de temps possible), Emmanuel Macron mise sur l’incapacité des gauches à s’accorder, alors même que les partis d’opposition sont épuisés par une campagne pour les européennes difficiles et n’ont ni le temps ni l’énergie d’établir des accords programmatique sur des enjeux nationaux. Par ailleurs, les caisses sont vides : même les partis qui ont obtenu plus de 3 % aux européennes ne seront remboursés que dans quelques semaines, voire mois.
On s’oriente donc vers un second tour qui mettrait dans de nombreuses circonscription le parti présidentiel face au Rassemblement National et Emmanuel Macron sait que dans cette configuration, tous
les démocrates iront faire leur devoir et « feront barrage ».Dans les circonscriptions où un candidat RN sera face à une personne d’un autre parti que Renaissance, les consignes de vote seront données au cas par cas, en fonction de la prétendue compatibilité de cette personne avec la République (une qualification des plus subjectives, et qui sous-entend qu’on pourrait être moins compatible avec la République que le Rassemblement National). En réalité, il s’agira pour Renaissance de choisir qui sera le plus à même de voter les futurs projets de loi du Gouvernement.
Bien sûr, cela va fonctionner. Et nous aurons le droit à un discours de la même trempe que « ce vote m’oblige », aussi vite prononcé qu’oublié, et Emmanuel Macron considéra ensuite ce vote d’opposition comme un vote d’adhésion.
Mais ce n’est pas tout. Cela permet de renforcer, encore une fois, le bipartisme qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux. D’un côté les démocrates, dont il se revendique, et de l’autre un parti de droite réactionnaire qu’il s’est choisi comme adversaire. Et la gauche ? Qu’elle disparaisse.
Le vrai objectif, détruire la gauche
Ce pari extrêmement risqué, Emmanuel Macron l’a déjà pris, et il a toujours été gagnant pour lui. Il a commencé par absorber les forces de droite et de la droite de la gauche, mais ça ne suffisait pas. Un héros ne s’évalue qu’à la hauteur de son némésis. Et ce némésis, c’est l’extrême droite.
Cette construction narrative lui permet d’intégrer progressivement tout ce que la politique comportait de socialistes et de démocrates (y compris de droite) et a vu une reconfiguration majeure du paysage à droite, avec un parti Les Républicains qui glisse vers les extrêmes au point d’en être difficilement distinguable et l’émergence d’un bloc identitaire à plusieurs facettes (le Rassemblement National, Reconquête…).
Ce bloc qu’Emmanuel Macron renforce régulièrement à grands coups de casse sociale (toujours du pain béni pour les populistes), de prises de paroles virilistes et de projets de loi xénophobe lui permet d’instrumentaliser la démocratie pour rester à la tête d’un pays qu’il dirige ensuite d’une manière fort peu démocratique, enchaînant les 49.3.
Des gens se demandent si Macron veut mettre l’extrême-droite au pouvoir pour prouver qu’elle est incapable de gouverner, d’autres les contredisent. Pour moi, ce n’est pas « si », c’est « quand ».
En constituant depuis le début de son histoire politique un bloc « démocrate » qu’il oppose à un bloc « réactionnaire », il cherche la constitution d’un bipartisme à l’américaine. Avec une conséquence évidente : à un moment, quand les gens en ont marre du bloc A, ils voteront pour le bloc B. C’est d’ailleurs ce que nous commençons à voir, avec des taux de participation record.
Finalement, le vrai ennemi d’Emmanuel Macron, le courant politique qui n’existe pas dans cette vision politique, c’est la gauche et plus particulièrement la gauche sociale et écologique, seule à s’opposer au capital qui n’a aucun ennemi à droite (aussi loin qu’on aille à droite).
La Nupes, un espoir ?
La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (Nupes) est une coalition de partis politiques de la gauche française, née en 2022 à la veille des dernières législatives. C’est une union de circonstance, dont l’objectif est la mise en place de candidatures uniques dans la majorité des circonscriptions. On garde les sortants peu importe leurs casseroles, et pour les autres circonscriptions, on prend les résultats des partis aux précédentes élections pour savoir qui on aligne.
C’est une nécessité, car peu importe ce qu’on pense de tel ou tel candidat de gauche, ce sont globalement des démocrates. Oui, il y a des gens de gauche qui discriminent, il y a des agresseurs sexuels, des charlatans, des influenceurs populistes et des écocidaires. Mais si vous le savez, c’est que l’information circule. C’est qu’il y a des enquêtes. C’est qu’il y a des processus internes et une perméabilité au travail journalistique pour permettre cette transparence, sans équivalent à droite et à l’extrême droite. On ne vois pas des problèmes parce qu’ils existent, on les voit parce que la loi du silence n’y est pas aussi forte.
Évidemment, nous, les gens de gauche, devrions faire le ménage plus vite. Franchement, aller militer à gauche sachant que machin ou bidule, dont on sait pertinemment qu’ils sont très problématiques, sont en lice pour un nouveau poste, ça me fait mal. Peut-on attendre d’avoir fait ce ménage avant de remettre la gauche au pouvoir ? J’en doute.
Que ce soit via Emmanuel Macron ou le RN, l’extrême droite s’installe davantage chaque jour et les portes se referment d’élection en élection. Quand nous aurons enfin notre gauche idéale sous la main, nous n’aurons plus le droit de voter pour elle.
Et si la gauche « gagne » ?
Alors on va être honnête deux minutes. « Gagner », dans ce contexte, c’est pas non plus la panacée.
Depuis 2022, à l’Assemblée Nationale, on est à :
- ~90 RN ;
- ~60 LR ;
- ~250 Renaissance ;
- ~30 LIOT/non-inscrits ;
- et ~150 Nupes.
Sachant qu’il faut ~290 députés pour une majorité absolue, la gauche n’est aujourd’hui pas une force suffisante pour défendre un texte. Même en ajoutant Liot et les non-inscrits.
Pour que la gauche « gagne » vraiment ces élections, c’est-à-dire qu’elle devienne un vrai réservoir de voix pour le parti présidentiel, il faudrait convaincre de nombreuses circonscriptions que la gauche est une meilleure alternative que de rester fidèle à Renaissance ou de voter RN. J’aimerais qu’on y arrive, mais au regard de ce qui vient de se passer pour les européennes, je n’y crois pas.
Ce qui se joue ici, c’est la survie du groupe de gauche, avec un groupe RN qui pourrait potentiellement doubler et composer le plus gros réservoir de voix pour faire passer des textes de loi.
Que fera le Rassemblement National ?
Pour l’instant, les députés RN participent peu à l’écriture de la loi. En revanche, leurs votes sont réels et devraient en toute logique être de plus en plus puissants2.
Sur les salaires et le pouvoir d’achat, le RN paupérise les français
:- contre l’augmentation du SMIC, du salaire des fonctionnaires, des APL ;
- pour le durcissement de toutes les conditions du chômage (fin des droits après un abandon de poste, durcissement et suppression des allocations) ;
- contre l’indexation des salaires ;
- contre le gel des loyers ou le blocage du prix des produits de première nécessité ;
- contre la gratuité des cantines et fournitures scolaires ;
- contre la revalorisation des bourses étudiantes (en dépit de valeurs soi-disant méritocrates).
Le RN soutient l’ordre du capital et des hauts salaires, votant :
- contre l’encadrement des salaires ;
- contre l’ISF ;
- contre la suppression des aides publiques aux entreprises qui versent des dividendes sans augmenter leurs salariés ;
- contre la lutte contre la fraude fiscale ;
- pour la vidéosurveillance.
Et par incidence, le RN vote tout ce qui permet d’affaiblir et de privatiser les services publics votant :
- contre le financement de l’Université, des hôpitaux, des sapeurs-pompiers, du Parquet National Financier ou des greffiers (tu m’étonnes…) ;
- contre la baisse de la TVA sur les transports en commun ;
- pour la suppression de la redevance audiovisuelle, amenant à une refonte profonde de l’audiovisuel public alors même qu’il n’a jamais eu autant de succès.
Enfin, le RN est l’ennemi de la responsabilité sociale et de la transition écologique, votant :
- contre le conditionnement des aides publiques aux entreprises sous couvert de respect de contraintes écologiques ;
- contre la régulation de l’installation des médécins dans les zones déjà pourvues ;
- contre les dispositions d’égalité femmes-hommes comme le renfort de l’accès aux femmes aux postes à responsabilité de la fonction publique ;
- contre l’option végétarienne à la cantine (alors même que ça réduirait les coûts pour l’ensemble des enfants);
- contre la suppression de la niche fiscale sur le kérosène aérien ;
- contre un impôt sur la fortune climatique ;
- contre la taxation des yachts et jets privés ;
- contre l’obligation pour les entreprises financées par le plan France 2030 à publier un bilan carbone
- pour l’exclusion des ustensiles de cuisine de l’interdiction des polluants éternels (PFAS) ;
- contre la luttte contre les dérives sectaires ;
- pour le chauffauge au fuel, pour la limitation des éoliennes, y compris en pleine mer et contre l’obligation d’installation de panneaux solaires sur les grands parkings ;
- et contre toute forme d’écriture inclusive.
Enfin, lors du débat sur les retraites, leur opposition était de façade. Ils ont applaudi la conclusion et même si dans leur programme, ils proposent la retraite à 62 ans, c’est sous couvert de conditions drastiques. Lors du vote sur la revalorisation des petites retraites, ils ont voté… contre.
Régulièrement interrogés sur ce qu’ils feraient de la réforme, ils annoncent qu’ils reviendraient dessus… enfin, si le niveau de la dette de la France le permet (indice : une fois au pouvoir, ils diront que non).
Paradoxalement, le RN ne propose rien pour améliorer le niveau d’études, directement corrélé aux revenus, et donc aux futures retraites. Marine Le Pen a plusieurs fois insisté sur le fait que les jeunes devaient plus rapidement entrer sur le marché du travail, ce qui réduirait mécaniquement les coûts de l’Éducation Supérieure publique. C’est une constante pour l’extrême droite partout dans le monde : on ne finance pas les institutions susceptibles de former des opposants.
Ce qui nous attend n’est donc pas glorieux : davantage d’inégalités, des services publics démantelés, une dette qui ne cesse de se creuser faute d’investissement sur des projets de long terme comme la transition écologique et aux prochaines élections, à nouveau, le choix entre la peste et le choléra.
Une seule solution : votez à gauche, maintenant mais surtout durablement.
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en France le Rassemblement National arrive en tête avec 31,37 % (30 sièges), suivi du parti présidentiel avec 14,60 % (13 sièges), les socialistes à 13,83 % (13 sièges aussi) puis les insoumis avec 9,89 % (9 sièges). ↩
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Toutes les données sont disponibles sur datan.fr qui lui même renvoie vers les données du site de l’Assemblée Nationale. ↩