Ce matin, je me lève avec une sensation familière d’anticipation. Pas de travail pour Contentsquare comme tous les jours, mais une mission tout aussi importante m’attend. Direction un centre AFPA, où je vais participer comme jury à des soutenances de titres professionnels.
L’Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA) est un organisme de formation professionnelle en France, spécialisé dans l’accompagnement des adultes en reconversion ou en recherche d’emploi. L’AFPA propose une large gamme de formations qualifiantes et certifiantes dans divers secteurs d’activité, allant de l’industrie aux services, en passant par le numérique et le bâtiment, incluant des périodes de stage en entreprise pour valider les compétences acquises.
Un peu de trajet, je me présente à l’accueil, et prends connaissance de ma salle et de mon binôme. Les soutenances peuvent commencer.
J’enseigne depuis 15 ans cette année.
Mon parcours de formateur a débuté par de la formation en entreprise, avant de rejoindre Ingésup Bordeaux à sa création. J’ai enseigné dans plusieurs écoles, toujours en parallèle de mon activité principale, avec des volumes d’enseignement allant de 50 à 150 heures annuelles.
En déménageant en Dordogne, où les écoles sont plus rares, j’ai élargi mon offre aux centres AFPA et transformé mes interventions en Master Class sur des journées entières. Une fois intégré
dans le carnet d’adresses des responsables de formation, les invitations à participer à des jurys sont devenues régulières.Les démarches d’habilitation pour être jury de titre professionnel sont assez simples, rapides (1/2 journée) et peuvent se faire à distance. Les prérequis sont transparents : que le titre soit relatif à votre activité professionnelle (au moins 3 ans d’expérience) récente (ne pas avoir quitté le métier visé par le titre depuis plus de 5 ans). L’habilitation est à revouveler régulièrement après quelques années, avec une procédure simplifiée.
Aujourd’hui, je délivre la certification professionnelle DéveloppeurRNCP37674. C’est un sésame pour celles et ceux qui souhaitent entrer dans le marché du développement web ou approfondir ultérieurement leurs compétences avec une licence.
Web et Web Mobile (DWWM), référencée sous le codeLes compétences validées par la certification DWWM sont réparties en 2 blocs de compétences :
- Développer la partie front-end d’une application web ou web mobile sécurisée
- Installer et configurer son environnement de travail en fonction du projet web ou web mobile
- Maquetter des interfaces utilisateur web ou web mobile
- Réaliser des interfaces utilisateur statiques web ou web mobile
- Développer la partie dynamique des interfaces utilisateur web ou web mobile
- Développer la partie back-end d’une application web ou web mobile sécurisée
- Mettre en place une base de données relationnelle
- Développer des composants d’accès aux données SQL et NoSQL
- Développer des composants métier coté serveur
- Documenter le déploiement d’une application dynamique web ou web mobile
Il ne s’agit pas ici de savoir si le candidat ou la candidate est autonome dans la réalisation de toutes ces tâches. Un junior avec un certification professionnelle reste junior en développement et a encore besoin de beaucoup d’accompagnement. Mais pour les compétences qui leur manquent, les reconverti
apportent souvent un bagage singulier que d’autres n’ont pas.En plus de ces compétences, nous devons aussi évaluer le projet professionnel et donc valider que sont connues les attendus du marché : bases de gestion de projet, versionning, modalités de déploiement, capacité à réaliser une veille technologique, mise en œuvre des bonnes pratiques (notamment de sécurité), tests, etc.
Le fait que ces sujets ne soient pas connus du ou de la candidate n’est pas rédhibitoire, mais les aborder permet de les identifier, et la personne pourra y revenir plus tard.
Notre premier
candidat entre, présente sa convocation et sa pièce d’identité, et la soutenance peut commencer.La soutenance se décompose en trois étapes distinctes.
Tout d’abord, la présentation en 35 minutes. Le ou la candidate expose les acquis de sa formation, idéalement confirmés par son stage de fin de formation. Le jury, silencieux, prend des notes sans partager ses commentaires.
Cette étape est cruciale car elle permet d’évaluer la capacité du ou de la candidat
à synthétiser et à communiquer ses compétences. C’est aussi un exercice extrêmement difficile pour des personnes que rien ne prépare à parler avec aisance d’un sujet qu’elles ne connaissaient pas il y a 18 mois, et qu’elles maitrisent encore mal.Le stress est souvent palpable, et je propose régulièrement aux candidat
de prendre le temps dont ils ont besoin pour reprendre leurs esprits avant d’enchainer.S’ensuivent 40 minutes d’échange technique. C’est en réalité le moment plus difficile.
Le jury, référentiel de compétences en tête (et parfois en main), doit s’assurer que l’ensemble du spectre a été couvert. Nous essayons de dénicher le moindre indice nous laissant à penser que si certains mots-clés ne sont pas connus ou mentionnés, les notions de fond, elles, sont comprises… mais cela peut rapidement prendre l’apparence d’un interrogatoire.
Le ou la candidate, qui a souvent concentré sa présentation sur ses réalisations en stage, se retrouve à devoir mobiliser des connaissances acquises en formation ou travaux individuels des mois auparavant. C’est souvent à ce moment-là que les candidat
nous détestent, et nous le savons (parfois, même, nous les entendons en parler dans les couloirs).Enfin, le ou la candidate s’assoit pour 15 minutes d’échange sur son projet de carrière. Le jury pose des questions sur ce qui a amenéce billet sur la différence entre métier et passion.
à suivre cette formation et sur les projets futurs, tout en prodiguant des conseils si le ou la candidate en demande. Un de ces échanges avait par exemple donnéC’est aussi un moment privilégié pour les candidat
, qui ont rarement l’occasion de s’adresser à des professionnel en dehors du cadre de l’entretien d’embauche. Ils et elles peuvent ainsi obtenir des avis expérimentés sur les sujets qui les intéressent. Et certains n’hésitent pas à proposer leurs CVs !Rien ne ressemble moins à un parcours de reconversion qu’un autre.
Bien sûr, on retrouve de grandes familles de profils : les jeunes dont l’orientation initiale était une erreur et qui bifurquent sans avoir vraiment pénétré le marché du travail, les trentenaires qui, après une décennie dans un premier emploi, souhaitent changer de vie…
Mais en creusant, les histoires sont toujours singulières. Même sans être intrusif
, les candidat nous révèlent des accidents de la vie, des violences psychologiques, voire physiques (subies ou infligées), le spectre ou les sequelles de maladies, et l’inégalité des territoires face à l’emploi. Je mentirais si je disais que chaque rencontre ne m’émeut pas.Une fois le ou la candidat
parti , vient la délibération.En général, le jury débat peu. Les attendus des certifications sont clairs, et la réponse s’impose souvent à nous, qu’on le veuille ou non. Mais on ne passe pas 90 minutes avec quelqu’un à échanger sur ses compétences et aspirations sans développer une opinion sur les gens, en plus de leurs compétences. Alors parfois, on donne la certification à des personnes avec qui on ne voudrait pas, nous, travailler.
Réciproquement, on a parfois envie de soutenir tel ou telle candidate qui n’est pas loin de valider les compétences… Mais ce petit écart fait la différence, et si on leur donne le certificat alors que les compétences ne sont pas acquises, on dévalue la valeur (déjà mal reconnue et précaire) du certificat des autres.
Quatre ou cinq candidat
plus tard, la journée se termine. C’est l’heure de retourner chez moi pour me préparer à revenir demain. Et vendredi, retour au quotidien.Une fois habilité
, votre employeur peut difficilement vous refuser un congé pour participer à un jury. La loi indique qu’il s’agit d’un motif d’absence autorisée dont le congé ne peut pas être prélevé sur vos congés annuels. Certains employeurs anticipent et favorisent ce type de pratique en couvrant les frais relatifs au déplacement ou au logement : si ce n’est pas la cas, les AFPA les rembourseront.Ce qu’en dit le Code du Travail (au 12 février 2025)
Article L3142-42Lorsqu’un salarié est désigné pour siéger dans une commission, un conseil ou un comité administratif ou paritaire appelé à traiter des problèmes d’emploi et de formation, l’employeur lui accorde le temps nécessaire pour participer aux réunions de ces instances.
La liste de ces instances est fixée par arrêté interministériel.
Lorsqu’un salarié est désigné pour participer à un jury d’examen ou de validation des acquis de l’expérience, l’employeur lui accorde une autorisation d’absence pour participer à ce jury.
Article L3142-43La participation du salarié aux réunions et jurys mentionnés à l’article L. 3142-42 n’entraîne aucune réduction de la rémunération.
La durée des congéscorrespondants ne peut être imputée sur celle du congé payé annuel.
Article L3142-44Un décret détermine les conditions dans lesquelles les dépenses afférentes au maintien du salaire et au remboursement des frais de déplacement sont supportées par les instances et jurys mentionnés à l’article L. 3142-42 ou par l’entreprise.
Article L3142-45Le bénéfice du congé peut être refusé par l’employeur s’il estime que cette absence est susceptible d’avoir des conséquences préjudiciables à la bonne marche de l’entreprise.
Le refus de l’employeur intervient après avis du comité social et économique. Il est motivé.
En cas de différend, le refus de l’employeur peut être directement contesté par le salarié devant le conseil de prud’hommes, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.
Je mesure la chance et le privilège d’avoir trouvé ma voie tôt. J’aime encore tellement mon domaine que je veux contribuer à y faire entrer de nouvelles têtes, et j’espère qu’un jour, j’aurai l’occasion de travailler avec des personnes rencontrées aujourd’hui.
Mais je sais aussi que la reconversion professionnelle est un parcours semé d’embûches. Le chemin est encore long pour garantir à tou
les mêmes chances de réussite. Les organisations syndicales, la médecine du travail, et les commissions santé, sécurité et conditions de travail ont encore beaucoup à faire pour améliorer les conditions de formation et de reconversion.Peut-être faudrait-il envisager des dispositifs de financement dédiés, comme un « Compte Reconversion », à l’image du compte formation, pour soutenir les candidat
dans leur parcours. Tout reste à inventer, mais chaque jury est une étape de plus vers une société où la reconversion professionnelle est une opportunité accessible à tou .