J’avais besoin de cet historique incomplet pour me pointer mes propres incohérences et suivre l’évolution de ma pensée au cours des années. De l’avantage d’avoir une mémoire externalisée. « SudWeb », David Lartlet
Suite à l’annulation de SudWeb 2023, il se dit plein de choses intéressantes sur les conférences et la communauté qui gravite autour de l’événement. Difficile pour moi de rester parfaitement neutre, d’une part parce que quelqu’un a décidé de me pointer du doigt. D’autre part, aussi parce que j’ai été moi-même organisateur d’une édition de SudWeb qui m’a beaucoup appris, mais aussi beaucoup coûté. Enfin parce que chaque action, y compris ma proposition de tenir 5 minutes sur scène, a des conséquences qu’il faut assumer.
Je me souviens, j’avais écris un long article sur l’organisation de cette édition 2018, ma dernière dans l’équipe et en tant que président. Je l’avais écrit tout au long de l’édition, et j’avais noté tout ce que nous faisions.
Les extrêmes difficultés des débuts pour trouver un équilibre entre une soif de renouveau et une volonté de réinterroger les valeurs de la communauté.
Le temps investi, qui m’avait éloigné de mes enfants pendant des mois, enfermé dans mon bureau à chercher des modalités de financement et envoyer des centaines de mails pour trouver une viabilité économique à un projet qui semblait farfelu à plein de monde.
Le travail de préparation et d’organisation, sur place, pour faire dormir les gens et les nourrir pendant deux jours et trois nuits… et la trouille constante qu’il arrive quelque chose à quelqu’un dans les dortoirs, sous notre responsabilité (trouille qui n’a jamais disparu. Je m’attendrai tout ma vie à ce que quelqu’un se sente prêt et dise quelque chose qu’on ne sait pas).
J’espère que nous y sommes arrivés concrètement, mais je suis prêt (même si ça me terrifie) à entendre demain ou dans 10 ans quelqu’unLe narcissisme, le feu et le protocole »
nous dire que non, qu’il s’est passé un truc qui n’était pas ok, le ou la croire et l’aider parce que c’est ça aussi, assumer. «
La peur, aussi, que notre proposition ne prenne pas, que j’en sois pour 50 000 euros de ma poche en tant que président ou que l’asso crame son maigre pécule et disparaisse.
Les critiques –d’une violence que je trouve encore aujourd’hui absurde– venant de l’extérieur comme des gens de la communauté autour de notre élaboration d’un Code de Conduite qui se voulait être un complément au cadre légal et un accompagnement pour les personnes qui pourraient être concernées par une situation oppressive. Une crise qui nous avait coûté une personne absolument centrale dans le succès de cette édition.
L’édition nous a finalement permis de faire parler plein de gens que nous avions passé des mois à trouver, privilégiant la curation à l’appel à la communauté. Mais c’était aussi extrêmement fatiguant moralement et physiquement. Même 5 ans plus tard, je ne me sens pas prêt à recommencer, c’est pour ça que les événements que j’organise depuis sont plus « simples ». Moins voire pas ambitieux politiquement.
Je crois que je suis aujourd’hui moins dur que je n’ai pu l’être envers les organisateurs d’autres événements, ou les gens qui ont repris Sud Web après moi, justement parce que cette expérience m’a permis de toucher du doigt les difficultés d’un projet offrant quelque chose de nouveau. À part pour aller voir les copains ou investir mon coeur d’activité professionnelle, je me rends aussi moi-même à moins d’évènements. Et quand j’y vais, je passe plus de temps à discuter qu’à regarder les conférences.
Je trouve de moins en moins de propositions qui m’animent, ou alors uniquement parce que l’inédit côtoie le très classique sur des formats gigantesques avec des milliers de participant
, très peu propices à la discussion. Parfois, je me dis que si j’avais vraiment la force de mes convictions, je relancerai un truc. Pas en conférence, peut-être en podcast ou dans un format épisodique similaire, avec une curation qui me plairait.Alors en attendant, j’ai choisi une forme de facilité. J’accompagne des mentoré
dans leurs relations interprofessionnel , comme je le fais depuis des années. Je fais les comptes de petits événements qui ne changent pas le monde. K’aide des assos militantes à gérer leur IT ou former leurs membres. Je fais des dons à des évènements plus radicaux pour qu’ils offrent des places pro-diversité.Ça me prend peu de temps, peu d’énergie, peu d’émotions, et ça m’en laisse pour avoir d’autres projets professionnels, personnels ou associatifs.
Tout ça pour dire que cet article sur SudWeb 2018, à l’époque, je l’avais finalement supprimé et je le regrette. J’y repense aujourd’hui et je me rends compte que c’était une aventure difficile et douloureuse mais aussi ambitieuse, et que je n’en ai pas gardé les traces que j’aurais voulu.
On ne sait jamais ce qu’on perd qu’une fois qu’on l’a perdu.
Dans ce commentaire de fond sur SudWeb 2023, je note pour ma part que l’événement ne laisse pas indifférent dans la communauté des gens pour qui il a eu une place particulière, à un moment de leur vie. Je ne sais pas quoi en penser, mais je ne me rappelle pas avoir lu autant de commentaires sur d’autres annulations.
Je vois aussi partout (y compris dans les communications de l’équipe) une très large confusion entre la notion de soutien, d’adhésion au programme, et l’achat de billets. Trop peu de personnes auraient été motivées par l’édition. À plus d’un mois, je trouve que c’est une conclusion hâtive.
Depuis l’émergence du Covid, l’organisation des conférences a beaucoup changé. Les tarifs des prestataires ont augmenté et les conditions d’annulation des contrats doivent être finement étudiées et négociées car le contexte sanitaire à six mois n’a rien de prévisible.
Les participant
sont exposés à une offre dématérialisée pléthorique qui ne les incite pas à être en veille sur ce type de réunions. L’incertitude sanitaire a complètement changé leur mode d’engagement avec ce type d’événements et beaucoup de « petits » événements remplissent dans les 10 derniers jours. Une tendance de « dernière minute » qu’on observe aussi dans le tourisme, d’ailleurs.En revanche, la responsabilité économique du président ou de la présidente de l’association organisatrice, elle, n’a pas changé. Je comprends donc totalement qu’on puisse décider d’annuler si cela ne se présente pas immédiatement comme un succès.
Peut-être va-t-on, pour ces formats plus réduits, vers un format en crowdfounding où on assure d’abord la solidité éthique de l’exercice et la pérennité économique de l’événement avant d’en fixer, très loin dans le futur, la date et le programme précis ?
Si tant est qu’une équipe soit véritablement motivée par l’envie de faire un truc nouveau, transparent et ambitieux, je serais ravi de le financer.