Je lis beaucoup, à propos de la manifestation de jeudi prochain, qu’elle aurait vocation à s’opposer à un capitalisme amoral (j’avais déjà parlé du méchant investisseur) et à mettre fin au statut de l’actionnaire. J’ai même lu dans les prospectus syndicaux que c’était la fin de l’actionnariat et le retour à un capitalisme familial, bien plus stable…
En voilà une bonne idée. Revenons à un capitalisme où seuls ceux qui ont de l’argent créent des entreprises, bercées par la mollesse naïve des fils à papa. Rétablissons ce capitalisme historique où l’ensemble des décisions serait pris par un nombre restreint d’individus (la famille) dont l’exposition au risque serait peu diversifiée et donc extrêmement dangereuse. Détruisons le rôle d’investisseur de l’actionnaire, qui lui permettait de financer des projets et de stimuler la concurrence. Mettons plutôt en place un système de grandes entreprises monopolistique, où les connivences entre familles prendront le pas sur la bonne gouvernance et la croissance, où les pertes et suppressions de quelques emplois seraient remplacés par la ruine et la suppression de tous les emplois. Nous pourrions ainsi profiter d’une belle économie, tellement stable qu’elle ne permettra ni ascension sociale ni création d’emploi…
Stop. Arrêtons de jeter le bébé avec l’eau du bain. Qu’il y ait besoin de réviser le modèle capitaliste, je veux bien. Le capital, à force de représenter le potentiel et non la valeur, s’est bien trop détâché du réel et nécessite des réajustements réguliers qu’on appelle « crise » et qui sont destructeurs, car difficilement identifiables. Il faut évidemment réguler, il faut évidemment mettre en place un « nouveau capitalisme » mieux connecté aux réalités. Mais que l’on ne s’y trompe pas : les acteurs du capitalisme d’aujourd’hui seront à peu de choses près ceux du capitalisme de demain.
Le « tout financier » ne cèdera pas la place au « tout État ». Si le libéralisme s’égare en financiarisation, en agences de notations, en effets de levier douteux et en actifs pourris, c’est que le chemin était mal balisé. N’est-il pas plus simple de tracer de nouvelles routes dans ce chaos que demander à ce qu’on le rase ?